LLB: A Istanbul se joue le sort du blé ukrainien

Article publié dans La Libre Belgique, le 13/07/2022

Turquie. Ukrainiens et Russes se sont de nouveau rencontrés pour débloquer les exportations agricoles.

C’est de nouveau le long du Bosphore que tout se joue. Ukrainiens et Russes, sous la tutelle turque, se sont parlés de visu mercredi pour la première fois depuis le 29 mars. En dehors de quelques rencontres à la frontière biélorusse, fin février, les deux Slaves ennemis n’ont tenu des négociations officielles qu’en Turquie. La session, que le ministère turc de la Défense tenait à garder “confidentielle”, aurait marqué une étape cruciale dans l’ouverture de couloirs maritimes permettant l’exportation du blé ukrainien à partir des ports d’Odessa.

Dans un contexte critique de hausse des prix des denrées alimentaires et de risques de pénuries, notamment dans certains pays africains, plus de 20 millions de tonnes de blé sont bloquées en Ukraine en raison du blocus russe et du déploiement de mines par la marine ukrainienne. L’évacuation russe de l’île des Serpents, fin juin, permet certes à des dizaines de navires cargos de désengorger les silos ukrainiens en empruntant le canal mer Noire - Danube. Mais la capacité d’exportation par le fleuve ne représenterait que 500 000 tonnes par mois, selon le ministère des Infrastructures, à Kiev. Les chargements par voie routière et ferroviaire ne concernent, eux, que des quantités minimes.

Aussi les regards se tournent vers Istanbul. “Nous sommes à deux doigts d’un accord”, assurait en amont le ministère ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba, tout en accusant le Kremlin de retarder les négociations afin de priver Kiev de revenus substantiels et d’encourager une déstabilisation qui nuirait à l’aura de l’occident. “Poutine a un “plan de la faim” pour provoquer le chaos dans des pays africains, ce qui provoquera de nouvelles vagues de migrations vers l’Union européenne”, assène le professeur Timothy Snyders, historien et spécialiste de la région.

Dans cette perspective, la Turquie a choisi d’agir plutôt que de subir. Recep Tayyip Erdogan s’est imposé comme le seul médiateur viable depuis le 24 février, éclipsant toutes les autres tentatives, comme ceux, décriés et infructueux, d’Emmanuel Macron. Frappé par une inflation de 79% en juin, très dépendant des importations de gaz russe et de céréales ukrainiennes, Ankara soutient Kiev à travers des livraisons de drones Bayraktar tout en entretenant des relations constructives avec Moscou. L’ambiguïté reste cependant de mise: plusieurs cargos chargés de blé estimé comme volé à l’Ukraine ont rallié des ports turcs, au grand dam de Kiev. Plusieurs observateurs y voient la continuité du pragmatisme de la Turquie dans la défense de ses intérêts mais aussi la preuve de l’anxiété turque de s’approvisionner en denrées alimentaires. Les négociations de ce mercredi à Istanbul pourraient ainsi trouver leur aboutissement lors d’une rencontre Erdogan-Poutine à Téhéran, le 19 juillet

L’issue de cette question va néanmoins aussi dépendre de l’évolution du rapport de force sur le terrain. Dans le Donbass, bombardements et raids aériens se poursuivent, même si l’armée russe marque une “pause opérationnelle” après la conquête totale de la région de Louhansk, début juillet. La concentration de 30 bataillons tactiques dans l’est de l’Ukraine laisse toutefois à penser que Moscou entend, a minima, conquérir l’ensemble de la région voisine de Donetsk.

De leur côté, les forces ukrainiennes multiplient les frappes sur des dépôts de munitions à l’arrière des lignes russes, comme la frappe dévastatrice sur les entrepôts de Nova Kakhovka le montre. “Les armes occidentales de longue-porté et de haute précision changent déjà le cours de la guerre”, s’est félicité Oleskiy Danilov, secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense. Tout en appelant ses partenaires à intensifier les livraisons d’équipements offensifs, il a promis de réduire les capacités russes à néant. “Nous n’avons encore rien commencé de sérieux”, a-t-il ricané en paraphrasant Vladimir Poutine.

Leurs compétences en matière de défense étant globalement établies, les Ukrainiens se confrontent aux difficultés de repartir à l’offensive. Avec un test crucial: reprendre la rive droite du fleuve Dnipro et reconquérir la ville de Kherson. Le contrôle de cette métropole, occupée dès les premiers jours de l’invasion, élargirait l’accès aux rives de la mer Noire. L’été pourrait donner lieu à des manoeuvres de grande ampleur dans cette région de tchernozem (terre noire très fertile), caractérisée par de vastes étendues céréalières. Les autorités d’occupation ont d’ores et déjà prévenu qu’au moins 200 000 tonnes de récolte seront perdues en raison du conflit et des mines éparpillées dans les champs.

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