LLB: En Ukraine, la fin des oligarques?

Article publié dans la Libre Belgique, le 18/07/2022

Malgré le conflit, les réformes se poursuivent en Ukraine. Mais attention aux faux-semblants.

“Je n’ai jamais été, je ne suis pas et je ne serai pas un oligarque”. Voilà Rinat Akhmetov, le principal oligarque d’Ukraine, qui donne le ton. Dans un communiqué de son holding SCM du 11 juillet, il a annoncé rendre à l’Etat les licences de son empire médiatique composé de dix chaînes de télévision, d’une plateforme de vidéos à la demande et d’un site d’information. Une initiative inédite pour l’homme le plus riche du pays, propriétaire du prestigieux club de football FC Shaktar et longtemps faiseur de rois.

But de la manoeuvre: dissocier ses actifs médiatiques, économiques et financiers afin d’éviter de tomber sous le coup d’une loi dite de “dé-oligarchisation” promulguée en novembre 2021 visant à “prévenir les risques pour la sécurité nationale liés à l'influence excessive des oligarques”. Archétype de cette classe enrichie dans le chaos post-soviétique des années nonante par des moyens le plus souvent illégaux, Rinat Akhmetov était dans le collimateur des réformateurs ukrainiens mais aussi des partenaires américains et européens. Lui et un petit groupe d’une quarantaine de personnes sont depuis longtemps soupçonnés d’avoir instrumentalisé leurs actifs médiatiques, économiques et financiers pour exercer leur influence sur la politique nationale, s’octroyer des marchés juteux et entretenir des réseaux de corruption.

La décision de Rinat Akhmetov marquerait donc “un tournant dans les relations entre l’Etat et les entreprises”, selon Mikhaylo Podolyak, conseiller du président Volodymyr Zelensky. De fait, elle revêt une dimension toute particulière maintenant que l’Ukraine est officiellement candidate à l’Union européenne et fait front face à l’invasion russe. A l’est du pays, les militaires redoutent la reprise d’offensives de grande ampleur dans l’est du pays tandis que les villes de Vinnytsia, Kharkiv et Mykolaiv ont récemment été touchées par des bombardements meurtriers. “Mais pendant ce temps, l’Etat fonctionne et les réformes progressent”, se félicite Mikhaylo Podolyak.

Plus qu’une volonté de se “normaliser”, le revirement de Rinat Akhmetov peut être expliqué en partie par la guerre. Ancien roi du bassin minier du Donbass, il a beaucoup perdu, depuis la première intervention russe en 2014 jusqu’à la destruction récente de son complexe métallurgique Azovstal, à Marioupol. Autrefois estimée à plus de vingt milliards d’euros, sa fortune est aujourd’hui évaluée à 4,2 milliards d’euros, selon le magazine Forbes. Rinat Akhmetov a d’ailleurs porté plainte contre la Russie auprès de la CEDH pour ses “atteintes à la propriété”.

D’une manière générale, l’ensemble des oligarques ukrainiens ont perdu de leur superbe depuis 2014, en raison du conflit mais aussi de la rupture des liens économiques et énergétiques avec la Russie ou encore des réformes modernisatrices appliquées après la révolution. “Certains rêvent d’un ‘moment Rockfeller’, quand les oligarques abandonneront leurs pratiques rapaces et chercheront le refuge de l’état de droit afin de protéger leurs acquis”, expliquait déjà en 2018 à La Libre le professeur Mikhaylo Minakov, spécialiste de l’oligarchie. “Dans l’histoire tumultueuse de l’Ukraine indépendante, néanmoins, nous avons constaté que les oligarques sont extrêmement créatifs et s’adaptent rapidement”. Aujourd’hui encore, rien ne prouve que le pays ne soit sur le point de tourner la page.

En l’occurence, Rinat Akhmetov a annoncé ne rendre que les licences de ses médias. Il reste maître de leur vente au plus offrant ou, le cas échéant, de leur attribution à l’un de ses collaborateurs. Ses compères oligarques n’ont pas tous annoncé des mesures similaires. “C’est au moment de la répartition des contrats de reconstruction que l’on comprendra si la dé-oligarchisation est effective”, estime le politologue Yarema Dukh. “Qui obtiendra quel contrat, et de quelle manière? Cela sera un test crucial.”

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