Koursk: une zone tampon?

Plus de 1250 kilomètres carrés, 92 localités et environ 2000 prisonniers de guerre russe.

Si l’on croit les déclarations de Volodymyr Zelensky et les estimations des experts, l’incursion ukrainienne dans l’oblast de Koursk, qui entre dans sa troisième semaine, a déjà produit des résultats tangibles.

Le pari reste néanmoins risqué, les Russes regroupant des troupes peu à peu dans la région.

Et cette opération en territoire russe n’allège pas la situation sur le front de l’est de l’Ukraine.

Alors, que se passe-t-il à Koursk? Qu’y recherche l’Ukraine? Quelles sont les réactions russes? Et comment expliquer que Vladimir Poutine se soit rendu en Azerbaïdjan pour une visite officielle, alors que son territoire national est attaqué?

Bonjour à tous, c’est Sébastien et bienvenue sur cette vidéo où l’on fait un nouveau point sur les dernières évolutions d’une guerre qui est tout sauf enlisée.

Pour revenir aux déclarations de Volodymyr Zelensky: il a annoncé que l’armée ukrainienne contrôle désormais 92 localités sur une zone de plus de 1250 kilomètres carrés.

Les estimations sont évidemment complexes mais les gains territoriaux ukrainiens sont confirmés par de nombreux experts et des journalistes autorisés sur place.

L’armée ukrainienne a détruit les trois ponts qui franchissaient la rivière Sejm en territoire russe.

La destruction du troisième pont a été confirmée hier par des blogueurs militaires russes.

C’est donc une zone de 600 kilomètres carrés qui se retrouve isolée du reste de la Russie, entre la rivière au nord et la frontière ukrainienne au sud.

Les troupes russes construisent des passerelles mais elles sont aussi attaquées.

Pour l’instant, les localités conquises par les Ukrainiens sont des petits villages, les Russes se concentrent sur la défense des villes moyennes de la région.

Les Russes qui offrent une résistance de plus en plus marquée aux Ukrainiens, mais qui n’ont pas encore lancé de contre-offensive.

Selon l’Institute for the study of war, les généraux russes attendraient d’assembler une force d’environ 20000 hommes afin de repousser les Ukrainiens.

Il ne s’agirait pas des troupes les plus aguerries, celles-ci étant mobilisées dans le Donbass.

Je vais y revenir.

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Ca, c’est pour parler très rapidement de l’état des forces en présence.

Aussi très important, les Ukrainiens ont fait des centaines de prisonniers. Certaines estimations montent jusqu’à plus de 2000 hommes, mais on n’a pas de chiffre précis.

De quoi prévoir un échange de prisonniers dans un futur proche.

C’est visiblement un des objectifs de l’Ukraine.

Volodymyr Zelensky a parlé de “remplir son fonds d’échange”

Il a aussi évoqué d’autres objectifs: détruire les capacités offensives ukrainiennes, établir une zone tampon pour protéger la région de Soumy et renforcer la position diplomatique de l’Ukraine avant l’automne, c’est à dire avant les élections américaines.

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Aussi, Volodymyr Zelensky a confirmé une thèse qui avait été avancée par le magazine britannique The Economist.

A savoir que les occidentaux ont été tenus à l’écart des préparatifs car le chef des armées ukrainien Oleksandr Syrskiy ne voulait pas qu’on lui mette des bâtons dans les roues.

Les sources de The Economist ont raconté que les Occidentaux, Américains en tête, auraient déjà saboté deux opérations. L’une aurait été divulguée aux Russes en avance. L’autre aurait été tout simplement interdite.

Volodymyr Zelensky l’a dit bien: si on avait monté l’opération avec les Occidentaux, on nous aurait dit que l’on franchissait une ligne rouge infranchissable et cela n’aurait pas été possible.

Le président ukrainien fait référence ici à la peur des Occidentaux de l’escalade dans le cas où l’on franchirait des lignes rouges du Kremlin.

Toute l’histoire de ce conflit démontre pourtant que ces lignes rouges ne sont là que pour devenir roses pâles et en fait ne servir à rien

Livrer de l’équipement offensif à l’Ukraine, imposer des sanctions sur la Russie, geler 300 milliards d’actifs financiers russes, envoyer des chars à l’Ukraine, envoyer des avions à l’Ukraine…

rien de tout cela n’a déclenché une riposte pire que la politique que le Kremlin mène déjà depuis une vingtaine d’années.

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La riposte russe à Koursk, elle témoigne d’ailleurs de la vacuité de ces lignes rouges.

Personne ne brandit la menace nucléaire.

Et pour l’instant, la riposte est très conventionnelle.

Ce qui ne veut pas dire que l’Ukraine va sortir la tête haute de cette opération.

Comme je l’ai dit, les troupes russes s’amassent et une contre-offensive est à prévoir.

Pas sûr que les troupes ukrainiennes puissent y résister, à supposer que leur objectif soit de tenir ces territoires.

Toujours est-il que la Russie n’a pas changé de logiciel, malgré cette première attaque sur son territoire depuis 1941.

Son allié indéfectible, le Bélarus d’Aliaksandr Lukachenka, a annoncé déployer une partie de son armée à la frontière avec l’Ukraine.

Loukachenka a aussi menacé implicitement la Pologne de créer une nouvelle crise des migrants, donc une nouvelle opération de diversion et de mise sous pression des pays européens.

C’est classique de la part de Loukachenka, qui souffle le chaud et le froid depuis 2022.

Et s’il faut prendre cette nouvelle au sérieux, il faut aussi rappeler que son armée, c’est uniquement 60.000 hommes en tout, qui ne sont pas réputés pour être particulièrement bien formés ni équipés.

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Preuve supplémentaire de la permanence de la politique russe: Vladimir Poutine traite la situation comme une opération de police, avec des mesures anti-terroristes.

Et le chef du Kremlin donne l’impression de considérer ce problème comme tellement secondaire qu’il est parti en visite officielle à Bakou, en Azerbaïdjan.

Il y a discuté de coopération économique et gazière, alors que l’Azerbaïdjan vend plus de 20 milliards de gaz à l’Union européenne, justement pour compenser l’arrêt des importations russes.

Vladimir Poutine a aussi répété qu’il était prêt à s’impliquer dans le processus de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, après la guerre du Haut Karabakh.

C’est tout à fait consistant avec la posture du dirigeant russe: son territoire est attaqué à Koursk tandis que son armée est à l’offensive dans l’est de l’Ukraine

et que toute son économie s’est transformée en économie de guerre

Mais lui garde sa stratégie de grande puissance, avec une capacité de projection régionale et mondiale.

Ce voyage en Azerbaïdjan sert aussi à Poutine pour montrer qu’il peut encore se rendre à l’étranger et qu’il lui reste des soutiens diplomatiques.

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Et pour l’instant, rien ne l’en empêche. L’incursion ukrainienne à Koursk ne l’a pas déstabilisé politiquement, en tout cas on ne voit pas de mouvements de fond.

Et son armée continue son grignotage à l’est de l’Ukraine

dans le Donbass, New York est tombée, Toretsk est menacée d’encerclement,

Tous les enfants de Pokrovsk doivent être obligatoirement évacués, les Russes n’étant qu’à une dizaine de kilomètres.

Si l’armée ukrainienne recherche à freiner les avancées russes en créant une diversion à Koursk ou en lançant une autre opération ailleurs, on n’en voit pour l’instant pas les manifestations de cet objectif.

L’Ukraine bénéficie visiblement d’une situation opérationnelle assez solide à Koursk, mais cela ne suffit pas à déstabiliser la machine politique et militaire russe.

On ne perçoit pas de panique généralisée en Russie, les troupes russes grignotent toujours, et Vladimir Poutine en Azerbaïdjan peut potentiellement enfoncer un coin dans la position européenne et occidentale dans le sud Caucase.

L’incursion de Koursk a changé la perception politique et médiatique de la guerre et redonné du moral aux Ukrainiens.

Mais il en faudra plus pour changer les dynamiques profondes du conflit.

Merci à tous d’avoir regardé!

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