Le fiasco de la 155e brigade “Anne de Kyiv”
Plus de 1700 cas de désertions
des pertes très élevées
un manque de ressources
un niveau d’impréparation affligeant
un encadrement insuffisant et une hiérarchie incompétente
la 155ème brigade de l’armée ukrainienne, formée et équipée en France, était censée être un symbole de la modernisation, de l’otanisation, des forces armées ukrainiennes
à peine déployée sur le terrain, elle s’est transformée en fiasco
Alors comment c’est possible? et qu’est-ce que ça nous dit des problèmes structurels de l’armée ukrainienne?
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on décortique les problèmes de cette 155e brigade
et où on les replace dans la perspective des questions de recrutement et de formation en Ukraine.
Comme j’ai déjà dit dans des vidéos précédentes, l’Ukraine est loin de s’écrouler,
et le grignotage des forces russes reste très localisé dans l’est du pays.
Mais l’accélération des poussées russes depuis l’automne 2024 pose beaucoup de questions quant à la résistance des Ukrainiens
et s’ils ne prennent pas à bras le corps les problèmes illustrés par le cas de la 155e,
le grignotage russe pourrait bien s’accélérer.
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Alors, on se rappelle, la 155e brigade est aussi appelée aussi brigade Anne de Kyiv du nom d’une princesse de la Rous’ de Kyiv qui avait épousé le roi de France Henri 1er en l’an 1051
l’idée, c’était que toute la brigade soit formée en France afin d’établir une cohérence de l’entraînement et de l’équipement,
équipement qui a aussi été fourni par la France
Vous pouvez revoir tous les détails dans la vidéo que j’avais enregistré sur le sujet ici
On pensait que tout se passait relativement bien, Emmanuel Macron s’était déplacé en personne pour saluer les recrues
et consacrer ce modèle de formation comme une innovation qui modernisait les forces armées ukrainiennes et les rapprochait des standards de l’Otan.
Mais en décembre, le reporter de guerre ukrainien très respecté Iouriy Boutousov a fait des révélations assez affligeantes
L’essentiel des recrues n’avait soit qu’une expérience militaire minimale, soit avait été mobilisé de force par les équipes de recruteurs qui écument les rues ukrainiennes
c’est un réel problème ici, on parle même de bussification, c’est-à-dire le procédé de prendre des jeunes hommes dans la rue pour les enfourner dans des bus, direction le bureau de recrutement ou la caserne.
Il y a plus d’un million de soldats dans l’armée ukrainienne, la majorité n’a pas été recrutée de force
mais comme j’ai dit, la bussification est un réel problème politique et social.
Donc ces unités disposaient soit d’une expérience minimale, soit avaient été incorporées de force
quand l’entraînement a débuté en France en octobre 2024, 2500 hommes avaient déjà été affectés dans d’autres unités
ce qui réduisait la portée de la cohésion de la formation d’une nouvelle brigade
et 1000 recrues avaient déjà déserté.
Une cinquantaine de plus a déserté pendant l’entraînement en France sur les quelque 2000 hommes qui ont été envoyés chez nous.
cela a été confirmé par un officier français à l’AFP
Les quelque 300 officiers ukrainiens d’encadrement qui avaient été dépêchés en France ont été impuissants. Beaucoup d’entre eux ont été changés en cours de formation.
D’ici à ce que la 155e brigade a fini son entraînement et a été déployée sur le front de l’est ukrainien, le journaliste Youriy Boutousov estime que 1700 hommes avaient déjà déserté
sur une brigade d’environ 5800 hommes, c’est beaucoup.
Il y a cinq jours, le 8 janvier, un des officiers commandant de la brigade a été arrêté dans l’ouest de l’Ukraine, loin du front, pour avoir déserté lui-même et autorisé ou encouragé ses hommes à quitter leurs postes.
Il risque jusqu’à 10 ans de prison mais son cas est révélateur d’une incurie au sein de la brigade.
Ca, c’est pour les problèmes d’encadrement.
Si on regarde l’incompétence de la hiérarchie et les problèmes stratégiques,
il faut voir que la 155e, dès son retour en France, la brigade a été tout de suite été déployée sur le front de Pokrovsk,
un des points les plus chauds du front
ce qui est très rude pour de nouvelles recrues
résultat, la brigade a tout de suite subi de très lourdes pertes, même si Youriu Boutousov ou les autres sources restent vagues sur le bilan humain.
Le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Oleksandr Syrskiy s’est investi personnellement pour résorber le scandale politico-médiatique
et il a ordonné d’équiper la brigade de drones et de défenses anti-drones.
et là, on tombe des nues: ça veut dire que la 155e n’avait pas ou très peu de drones et de défenses anti-drones quand elle a été déployée sur le front de Pokrovsk
ce qui est lamentable du côté ukrainien, bien au fait des réalités du terrain,
mais qui pose aussi beaucoup de questions quant à la pertinence de la formation française.
ne pas inclure de drones et de défenses anti-drones en 2024, c’est réfléchir selon les conflits du passé
le haut commandement ukrainien n’arrête pas de répéter que les Français ont rempli tous leurs engagements et que la formation a été un succès
mais si elle n’a pas inclus de formation à l’art des drones, ça remet quand même en cause toute l’utilité de l’initiative.
Le scandale a fait tellement de bruit que Volodymyr Zelensky s’implique désormais personnellement pour adresser les problèmes de la 155e.
Le nouveau chef de l’armée de terre, Mikhaylo Drapatyi, qui a été nommé en novembre,
parle de leçon négative qui peut servir d’action préventive pour les autres unités de l’armée.
Il s’agit donc de résoudre les questions liées au recrutement, à la formation mais surtout à l’encadrement,
c’est-à-dire au professionnalisme et à la motivation des officiers de grade intermédiaire et des sous-officiers.
Là, on touche les limites du modèle d’organisation de l’armée ukrainienne
avec des petites unités qui sont gérées de manière très autonome, comme des PME
ce qui a rendu l’armée ukrainienne très mobile et réactive face à l’invasion en 2022 mais dans le cadre d’une guerre de tranchées ça pose problème
et ça génère des abus. Récemment, on a vu le cas ahurissant de la 211e brigade, où des commandants ont utilisé certains de leurs soldats comme main d’oeuvre pour se faire construire une maison dans l’ouest de l’Ukraine.
encore un cas qui a fait grand bruit ici
ça pose aussi la question de la pertinence de la création de nouvelles unités à partir de rien, avec des nouvelles recrues mal formées,
alors que les unités existantes souffrent de cruelles pénuries de soldats.
ça, c’est une question que doivent se poser les initiateurs de la légion ukrainienne actuellement en cours de formation en Pologne
qui rassemble environ 1300 Ukrainiens de l’étranger désireux de retourner se battre en Ukraine sur base volontaire.
ça soulève aussi, encore une fois, les questions de mobilisation et de recrutement
et donc d’âge minimum de mobilisation, de salaires, de formation, et évidemment de la démobilisation
un projet de loi sur la démobilisation a été enregistré au Parlement, il est bloqué pour l’instant à la demande du haut commandement.
Tout cela amène aussi à s’interroger sur les désertions en masse, The Economist parle de 60000 cas en 2024, ce qui a été plus que 2023 et 2022 réunis
et de la corruption et des trafics que cela engendre
ces derniers jours, la police a démantelé 50 réseaux d’évitement de la mobilisation et d’exfiltration de déserteurs vers l’étranger
50 réseaux, et on peut imaginer qu’il en reste bien plus.
Parfois, on a l’impression que le haut-commandement et les autorités ukrainiennes sont débordés par ces problèmes
mais beaucoup est fait
par exemple une loi de l’automne dernier a autorisé les déserteurs à réintégrer leurs unités sans sanctions pénales, donc une sorte d’amnistie.
plusieurs milliers de citoyens ukrainiens sont sortis de la clandestinité et ont repris un service actif.
Une réforme interne à encore accéléré la numérisation des forces armées en novembre
en facilitant les demandes de transfert d’une unité à une autre, ce qui était une grande demande des soldats.
On a aussi une proposition du gouvernement de permettre à des Ukrainiens de l’étranger de rentrer travailler en Ukraine sans être astreints aux interdictions de voyager ou à la mobilisation
ce qui peut alléger les tensions liées aux pénuries de main d’oeuvre sur le marché du travail
et indirectement fluidifier les processus de recrutement dans l’armée.
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Ce que l’on voit, c’est que tous ces problèmes structurels de l’armée ukrainienne sont liés à des questions pratiques, organisationnelles et logistiques
en grande partie pas à des problèmes de motivation
les questions de motivation que l’on a observé ces derniers temps, ce sont beaucoup de soldats qui s’interrogent sur l’utilité de se battre alors que l’on parle sans arrêt d’un cessez-le-feu dès l’investiture de Donald Trump
ce qui ne sera pas le cas, il n’y aura pas de cessez-le-feu dès le 20 janvier,
mais on peut comprendre ceux qui se posent la question.
Mais donc vu que ce n’est pas dû à un manque de motivation,
L’Ukraine a sur le papier la possibilité de résorber ces problèmes et de réajuster le tir
la question, c’est de savoir si elle en a les moyens, la volonté politique, et le temps.
c’est à ce titre que le fiasco de la 155e brigade formée en France est un cas d’école,
et un test pour l’ensemble du dispositif défensif ukrainien.