Le recrutement en crise en Ukraine

On le sait, la situation des troupes ukrainiennes est très difficile sur plusieurs fronts

Et elle pourrait se compliquer encore plus dans les semaines prochaines

alors que les troupes russes continuent leurs avancées dans l’est et se prépareraient à des actions offensives au sud et dans l’oblast de Koursk.

on comprend le moment très particulier dans lequel on est, juste après l’élection de Donald Trump qui pourrait ouvrir l’opportunité de nouvelles négociations

Mais en Ukraine, la menace de cette nouvelle poussée russe remet la question de la mobilisation au centre du débat public et de la réflexion sur les buts de guerre.

Ce qui pourrait forcer les autorités ukrainiennes à prévoir ce qu’elles ne voulaient pas prévoir avant, une clause de dé-mobilisation.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, et bienvenue dans cette vidéo où l’on va parler de la pression que les avancées russes mettent sur le dispositif défensif ukrainien, et notamment sur ses ressources humaines.

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Donc, les rapports se font assez alarmistes dans plusieurs secteurs du front ukrainien.

Dans l’est, Kurakhove est dans une poche qui se referme progressivement

Et son sort semble plus ou moins scellé

Avec la perte de Kurakhove, une énième place forte ukrainienne tombée, les Russes progresseront vers l’ouest.

Les analystes du Center for Defence Strategies (CDS) estiment que le front pourrait glisser de 30-35 kilomètres vers l’ouest d’ici la fin de l’année,

donc un changement majeur par rapport à la stagnation du front en 2023 et sur les premiers mois de 2024.

Pokrovsk, Toretsk et plus au nord Kupiansk, on en a déjà parlé, ce sont des cibles de plus en plus vulnérables

En parallèle, les Russes amasseraient des troupes au sud de Zaporijia, afin d’y lancer un assaut.

Et un corps de 50000 hommes russes et nord-coréens serait sur le point de relancer une offensive pour reprendre un peu plus du territoire de l’oblast de Koursk occupé par les Ukrainiens.

Il y a aussi la question des attaques aériennes: les Russes n’ont pas utilisé de missiles balistiques ou hypersoniques depuis quelques temps

Ils emploient principalement des drones.

ce qui laisse à penser qu’ils se constituent des stocks pour une attaque massive, sans doute contre les infrastructures énergétiques.

L’objectif est clair: il s’agit de conquérir le plus de territoire et affaiblir le plus possible l’Ukraine avant que Donald Trump n’arrive au pouvoir et ne propose ou impose un plan de paix, quel qu’il soit.

On verra ce qu’il se passera et si effectivement il y a des offensives ici ou là

Mais en Ukraine, cela relance depuis quelques semaines l’épineuse question de la mobilisation

Entre un million et 1 million 300.000 hommes et femmes sont sous les drapeaux actuellement.

Le ministère de la défense entend recruter 160.000 soldats de plus dans les prochaines semaines, les prochains mois

ce qui permettrait de fournir les unités à hauteur de 85% de leurs besoins.

Pour Roman Kostenko, secrétaire du comité parlementaire aux questions de défense, il en faudrait en fait 500.000

Mais ce chiffre qui avait été avancé auparavant paraît hors de portée

Certains analystes doutent même de la capacité d’atteindre le chiffre de 160.000 hommes, estimant que 100.000 est plus raisonnable.

Parce que les efforts de mobilisation se heurtent à des obstacles bien réels.

Avant que j’entre dans le vif du sujet, je tiens à préciser: la Russie connaît elle aussi de sérieuses difficultés et le fait que la mobilisation en Ukraine ne se passe pas de manière optimale ne veut pas dire que l’armée va s’effondrer du jour au lendemain, je tiens à le dire d’ores et déjà.

D’abord les exemptions: à la mi-août, les derniers chiffres que j’ai vu, il y avait entre un million et 1,5 million de personnes qui bénéficiaient d’une exemption

Les raisons sont multiples: comme le statut familial ou l’état de santé,

On sait qu’il y a de la corruption dans ce secteur, évidemment, mais elle n’explique pas toutes les exemptions

L’essentiel des dérogations ce sont des actifs qui sont censés travailler dans des entreprises stratégiques et bénéficier d’une protection

l’appréciation de ce statut est très relatif et il semble que les autorités travaillent à le remettre en cause.

mais pour l’instant c’est comme ça.

Deuxièmement, il y a du côté de l’Etat des contraintes en termes de capacités d’accueil, d’entraînement, d’équipement

Ce qui est loin de motiver d’éventuelles recrues à rejoindre les rangs de l’armée

Ce sont des questions qui se sont améliorées ces derniers temps mais il reste beaucoup de problèmes

et de différences en fonction de l’unité à laquelle on est affecté.

Par exemple la durée et la qualité d’une formation peut changer du tout au tout, d’une brigade à une autre.

La multiplication des cas de mauvaise gestion individuelle ou collective depuis 2022 pèse sur l’opinion publique, sur les familles des personnes mobilisées, et sur les éventuelles recrues

Par exemple parmi ces cas de mauvaise gestion on a des cas de personnel médical qui est employé comme infanterie, ou des soldats qualifiés qui sont réaffectés à des tâches administratives

Tout cela a aussi entraîné des milliers de cas d’insubordination ou de désertion

qui évidemment trahissent un malaise dans certaines unités de l’armée.

Cela étant dit, on a toujours un flot de quelques milliers de personnes qui signent des contrats chaque mois sur une base volontaire, donc il n’y a pas non plus un rejet total.

Un autre facteur démotivant: le fait que la loi de mobilisation passée au printemps ne prévoit pas de démobilisation

ce qui fait que les volontaires et recrues de 2022 sont toujours sous les drapeaux, pour la plupart

et que beaucoup des éventuelles recrues refusent de signer un chèque en blanc à l’armée et s’engager, être enrôlés, sans perspectives de fin de contrat.

Ce sentiment est renforcé par plusieurs prises de position publiques de soldats et de vétérans

En septembre, un soldat ukrainien qui s’était porté volontaire en 2019, donc avant l’invasion,

a annoncé publiquement qu’il quittait ses fonctions, donc qu’il désertait, parce qu’on ne lui proposait aucune perspective de fin de contrat après 5 ans de service.

Inutile de dire que l’affaire a fait grand bruit,

et qu’elle a encore plus contribué à peser sur l’opinion publique et à entretenir une défiance vis-à-vis de l’armée et des services de recrutement

Ces mêmes services qui ne sont pas toujours subtils ou délicats

et qui saisissent encore des hommes dans les rues, à la sortie de magasins, du métro ou même de concerts pour les emmener directement au bureau de recrutement

En Ukraine on parle de “bussification”, un qualificatif très péjoratif qui rejaillit directement sur le pouvoir politique.

Et qui a poussé une quantité indéfinissable d’hommes à tenter de partir à l’étranger mais aussi à entrer dans la clandestinité, ce qui entretient par là-même l’économie parallèle et l’évasion fiscale

Donc c’est un réel problème aussi pour le fonctionnement de l’économie et des institutions civiles

Certaines personnes ne renouvellent plus leur permis de conduire ou d’autres documents élémentaires parce qu’ils ont peur de se présenter à n’importe quelle administration.

Cette question de la démobilisation est critique et Roman Kostenko, le secrétaire du comité parlementaire aux questions de défense que j’ai déjà mentionné,

Il vient d’annoncer que le ministère de la défense prépare un projet de loi qui sera présenté à la mi-décembre.

On ne sait pas encore ce que ce projet de loi va contenir mais cela montre que même l’exécutif a compris que cette situation est intenable.

Dans cette problématique de la mobilisation se pose aussi la question de l’âge du recrutement

Il est aujourd’hui de 25 à 55 ans, 60 pour les officiers.

On entend souvent des appels à baisser l’âge de 25 à 18 ans

Mais d’une part ça n’apporterait pas grand chose puisque quand on regarde la pyramide des âges, on voit que le bassin de population masculine principalement serait très faible, en proportion

Mobiliser les très jeunes pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l’Ukraine en termes démographiques, sachant les perspectives sont déjà vertigineuses

Vous pouvez regarder ma vidéo sur le sujet ici

Et que mobiliser les très jeunes se heurterait à une levée de bouclier parmi la population

notamment les 35-50 qui sont mobilisés sous les drapeaux en ce moment

avec cette idée qu’ils se battent pour que leurs enfants n’aient pas à le faire.

J’ai fait à peu près le tour des raisons du problème que je voulais évoquer, si vous en voyez d’autres n’hésitez pas à me les partager en commentaire.

En tout cas on le voit, la question du recrutement reste particulièrement épineuse

Elle l’est tout autant en Russie, mais bon déjà la réserve de population n’est pas la même

en plus le Kremlin a procédé plus tôt à plusieurs vagues de mobilisation partielle ou de recrutement dans les prisons,

et à l’adoption de motivations financières

Donc il y a un flux plus constant en Russie

Même si on voit aussi des problèmes d’organisation, de gestion, d’équipement, qui entraînent des désertions

Des cas de personnel qualifié qui sont affectés à des positions d’infanterie, c’est dénoncé très souvent par des milblogueurs russes

Les opérations militaires en cours se font au prix de lourdes pertes

et le fait que des soldats nord-coréens soient déployés à Koursk et que d’autres pourraient bien arriver, illustre bien que la Russie manque elle aussi de ressources humaines.

Et avant de se tourner vers les Nord-Coréens, les Russes ont enrôlé des Sri-Lankais, je vous mets le lien dans la description de l’enquête de France24 sur cette question.

J’ai mentionné les motivations financières adoptées par le Kremlin: il faut quand même voir que les autorités viennent de réduire les primes qui étaient jusqu’ici automatiques pour les soldats blessés,

Ce qui trahit aussi des difficultés financières du côté russe.

Dans la comparaison entre les deux pays, on voit aussi que la montée des frustrations et des contestations en Ukraine confirme le fait que c’est un Etat ouvert et pluriel,

qui reconnaît le poids de l’opinion publique et de la société civile et plus généralement qui accorde une place centrale à l’individu

ce qui est un modèle aux antipodes de la Russie.

Je vais terminer cette vidéo un peu longue.

en rappelant que l’essentiel de ces questions de mobilisation en Ukraine ne sont pas liées à un déficit de patriotisme

ou de refus de lutter pour l’indépendance de leur Etat.

mais bien à des problèmes concrets et politiques qui ne sont pas insurmontables.

Vous avez sans doute entendu des analystes militaires comparer la période en cours à l’année 1916 de la Première guerre mondiale,

quand, dans la troisième année du conflit, les belligérants connaissaient des tensions en interne, de graves problèmes de ressources humaines, des incertitudes et du découragement

L’Ukraine et ses partenaires occidentaux est plus ou moins dans cet état

et rien ne dit qu’elle ne peut pas surmonter ces difficultés et connaître un sursaut dans les mois qui viennent.

La grande question étant de savoir si elle en aura le temps, puisque, comme je l’ai dit, les Russes veulent avancer le plus possible

avant que l’administration Trump n’intervienne avec une proposition d’un plan de paix

Et il est garanti que cette tentative arrivera dans un futur proche.

On verra dans quel état l’Ukraine sera à ce moment là.

Merci à vous

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