Libé: L’Ukraine toujours en peine de paix

Article publié dans Libération, le 19/07/2019

Dans un pays déchiré depuis 2014, le président Zelensky parie sur une majorité suffisante aux législatives de dimanche pour engager une politique de désescalade avec Moscou.

«J'ai décidé d'appeler Poutine. On a vraiment essayé de m'en dissuader, mais pourquoi avoir peur alors que la vérité est de notre côté ?» C'est en toute simplicité que Volodymyr Zelensky s'est intronisé négociateur d'égal à égal avec Vladimir Poutine. Dans une des vidéos improbables dont il a le secret, en conduisant une Tesla dans les rues de Kiev, l'ex-comédien raconte le progrès des pourparlers sur un échange de prisonniers à venir. «Je lui ai dit franchement, à Poutine, que nous serions très heureux d'organiser un échange, mais qu'il y a encore des problèmes à régler !» A quelques jours des élections législatives anticipées de dimanche, le président ukrainien affiche son message : défendre l'intérêt national tout en relançant les négociations de paix avec la Russie, après cinq ans de guerre.

Bagarre rangée

Et pour cela, il lui faut une nouvelle Verkhovna Rada – le Parlement ukrainien. La législature élue en 2014 s’était distinguée par son incapacité à avancer dans les domaines prévus par les accords de paix de Minsk. On se souvient d’un vote en septembre 2015 sur une loi spéciale qui aurait pu décider d’un statut pour les «territoires temporairement occupés» et permettre leur réintégration. Le vote avait fait l’objet d’une bagarre rangée dans l’hémicycle, et provoqué l’explosion d’une grenade à l’extérieur, tuant quatre policiers. Sous l’impulsion de l’ancien président Petro Porochenko, les parlementaires avaient aussi décidé des sanctions commerciales, restrictions au transport, et modifications de la politique linguistique au détriment du russe. Justifiées aux yeux d’une grande partie de l’opinion, ces mesures ont frustré de nombreux électeurs.

Voie médiane

C'est donc porté par un vent de renouveau que le parti Sluga Narodu («le serviteur du peuple») de Zelensky devrait rafler au moins 40 % des sièges ce dimanche. On s'attend à un renouvellement de 70 % des députés. Le Président aura ainsi autorité pour faire adopter plusieurs des projets évoqués depuis son élection : la fin du blocus commercial des territoires séparatistes, un statut régional minoritaire pour la langue russe ou encore l'amélioration des conditions humanitaires dans l'Est en guerre. Une majorité parlementaire pourrait aussi permettre à Zelensky de tester sa vision d'une «nouvelle Ukraine», prospère, moderne et débarrassée de la corruption endémique. «C'est comme cela que nous pourrons convaincre les gens dans l'Est et en Crimée de revenir parmi nous !» martèle-t-il.

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A sa vision s’opposent d’un côté les tenants d’une rupture avec la Russie, qui associent tout compromis à une compromission ; et de l’autre le parti «Plateforme d’opposition – pour la vie !», mené par un proche de Poutine, qui promeut la paix à tout prix et une réconciliation totale avec la Russie. La voie médiane suggérée par le Président semble prendre le dessus. Les résultats de dimanche devraient décider de sa marge de manœuvre. Sachant que, quelles que soient les critiques qu’il peut rencontrer à Kiev, Zelensky se heurtera avant tout au mutisme du Kremlin, qui nie toujours son intervention en Ukraine. De récentes sanctions commerciales et énergétiques ne donnent aucun signe d’une relance des négociations de paix.

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