LLB: Impeachment. L’Ukraine, obsession fatale de Trump?
Article publié dans La Libre Belgique, le 17/01/2020
C’est l’histoire d’une obsession. Alors que la procédure de destitution de Donald Trump débute à Washington, les révélations se multiplient à charge du locataire de la Maison-Blanche. À en croire un de ses proches, Lev Parnas, il aurait approuvé les manigances visant à rechercher en Ukraine des éléments compromettants sur son opposant Joe Biden.
C’est l’histoire d’une obsession, qui fait trembler la capitale mondiale de la politique. Alors que la procédure de destitution de Donald Trump débute au Sénat, à Washington, les révélations s’accumulent à la charge du locataire de la Maison blanche. A en croire un de ses proches Lev Parnas, il aurait approuvé les manigances visant à rechercher en Ukraine des éléments compromettants sur son opposant Joe Biden. Le GAO, équivalent de la Cour des Comptes du Congrès, estime que le président a enfreint une loi fédérale en gelant une aide militaire destinée à l’Ukraine, en été, afin de convaincre son homologue Volodymyr Zelenskyy d’enquêter sur les Biden. Enfin, le procureur général ukrainien a ouvert une enquête pour déterminer si l’ancienne ambassadrice américaine Marie Iovanovitch avait été placée sous surveillance, et l’objet de menaces, pendant son séjour en Ukraine.
Dans ce dédale sans fin de noms, de révélations sensationnelles et de déclarations contradictoires, un fil rouge: l’Ukraine. Victime de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, aux prises avec une guerre meurtrière dans l’est, le pays le plus pauvre d’Europe en termes de PIB par habitant est la cible d’un antagonisme insoupçonné de la Maison blanche depuis 2016. En pleine campagne présidentielle américaine, c’est de Kiev qu’étaient venus des carnets de comptes secrets révélant que le directeur de la campagne Trump, Paul Manafort, avait conseillé le président ukrainien autoritaire et corrompu Viktor Ianoukovitch de 2004 à 2014. Des paiements d’un montant total de 12,7 millions de dollars avaient été versés à son profit. Une coquette somme qu’il n’avait pas déclaré au fisc américain. Ce sont parmi les éléments qui ont contraint Paul Manafort à démissionner, et qui ont mené en 2018 à sa condamnation à 7,5 ans de prison pour fraude fiscale et fraude bancaire, entre autres.
Pour l’administration Trump, ces déboires de Paul Manafort marquent le début de la tempête de l’enquête sur “l’ingérence russe” dans l’élection de 2016. Aussi le président, et son avocat Rudolph Giuliani, en ont nourri une rancoeur tenace à l’encontre de certaines personnalités ukrainiennes, et du service diplomatique mis en place sous Barak Obama. En recherchant à laver Paul Manafort, et son client Donald Trump, de tout soupçon, Rudy Giuliani noue contact avec des personnalités controversées en Ukraine, comme le ministre de l’intérieur Arsen Avakov, le procureur général Iouriy Loutsenko, ou des représentants d’oligarques locaux. Dans sa tentative d’approcher l’influent Ihor Kolomoiskiy, Rudy Giuliani se lie avec des hommes d’affaires juifs, qui le nomment même maire honoraire d’un village de la région de Kiev, reconstitution d’un “shetl” juif du 19ème siècle.
Les liens noués en Ukraine ont aussi permis de donner de l’écho à la théorie d’une ingérence ukrainienne dans l’élection de 2016 en faveur d’Hillary Clinton, en réaction à l’enquête sur l’interférence russe. L’allégation n’a jamais été étayée de manière sérieuse. Reste qu’elle contribue à l’obsession du tandem Trump-Giuliani vis-à-vis de l’Ukraine. Et à en croire l’avocat, c’est à travers ses recherches qu’il a “découvert” la présence de Hunter Biden au conseil d’administration de la société ukrainienne “Burisma”. Les activités de conseil que le fils du vice-président de Barak Obama y a exercées ne sont pas définies avec certitude. En revanche, deux choses sont claires: il y était payé grassement, jusqu’à 50.000 dollars par mois selon The New York Times. Et l’entreprise est lié à Mykola Zlochevsky, un oligarque véreux et ancien ministre de l’autoritaire Viktor Ianoukovitch. Cette affiliation a justifié une série d’enquêtes après le changement de régime de 2014.
Aucune n’aboutit, d’abord et avant tout en raison de l’incompétence des trois procureurs généraux nommés successivement par le président Petro Porochenko. La justice ukrainienne n’a jamais initié de recherches sur les activités d’Hunter Biden. Rien ne laisse supposer que son emploi à Burisma, achevé début 2019, ait eu un caractère illégal. Du point de vue ukrainien, “les allégations ubuesques de Giuliani n’ont aucun fondement”, prévient Serhiy Leshchenko, ancien député à l’origine de la publication des comptes secrets de Paul Manafort. “Giuliani invente aux Etats-Unis des scandales, des procès, des faits qui n’ont jamais eu lieu ici à Kiev”. L’avocat persiste dans ses “recherches”, sans succès en 2017-18.
L’élection de Volodymyr Zelenskyy le 21 avril 2019, et le renouvellement de l’élite politique qui l’accompagne, sont une chance de remettre une pièce dans la machine. Dès mai, l’avocat tente d’organiser une visite à Kiev. Il doit l’annuler dans la précipitation, en dénonçant sur un plateau télé les “ennemis du président (Trump)” qui peuplent Kiev. Dans la foulée, l’ambassadrice des Etats-Unis Maria Yovanovitch est aussi rappelée à Washington, visiblement en raison de sa désapprobation de la diplomatie parallèle menée par Rudy Giuliani. L’activisme de ce dernier culmine avec le gel d’une aide militaire de 391,5 millions de dollars en été, et le coup de fil du 25 juillet, désormais au coeur de la procédure de destitution. Rien n’indique à ce jour que Volodymyr Zelenskyy ait voulu accéder aux demandes de la Maison blanche pour initier une enquête contre Hunter Biden.
Enième rebondissement: alors que la Maison blanche est prise dans la tourmente, Rudy Giuliani revient à la charge en décembre dans un voyage aussi étrange que grotesque. Arrivant de Budapest à Kiev sur un vol de la compagnie low-cost Wizzair, il publie des rencontres avec 4 des personnalités les plus discréditées et sulfureuses de la politique ukrainienne. Son équipe presse rassemble des blogueurs et journalistes liés à des médias proches de l’extrême-droite, avides de théorie du complot. Il ne rencontre aucun des représentants de l’exécutif. Mais quand il repart pour Washington, c’est en affirmant avoir trouvé des preuves “choquantes” de la mauvaise conduite des diplomates américains affiliés à Joe Biden. Quelles qu’elles soient, il ne les a pas encore utilisé.
Remarquablement stoïque, Volodymyr Zelenskyy observe son voeu de “ne pas s’immiscer dans la politique électorale américaine”, et fait mine d’ignorer les sorties de Rudy Giuliani. A Kiev, il est pourtant clair que le porteur de scandale n’a pas dit son dernier mot, du moins jusqu’à l’élection américaine de novembre prochain.