LLB: Objectif Zéro Anémie pour les mamans et enfants du Donbass

Article publié dans La Libre Belgique, le 22/09/2018

Photo: Niels Ackermann / Lundi13

Des deux côtés de la ligne de front en Ukraine, une fondation distribuera des vitamines à des milliers de femmes enceintes et d’enfants. Les taux d’anémie sont très élevés, l’alimentation pauvre et les taux de vaccination trop faibles.

Pour assurer un avenir en bonne santé de ces enfants, nous optons pour des choses simples, basiques, mais qui ne vont pas de soi dans l’est de l’Ukraine”. Ce mercredi 13 septembre, Christian Carrer, président de l’Association internationale de coopération médicale (AICM) se prépare à débuter la distribution de vitamines et de compléments alimentaires à l’ensemble des femmes enceintes des régions de Donetsk et Louhansk, soit 2 1 600 personnes, et à 195 000 enfants âgés de 6 mois à 5 ans. La distribution est prévue sur une durée d’au moins trois ans. Et ce, des deux côtés de la ligne de front qui déchire l’est de l’Ukraine depuis 2014. Le conflit a déjà fait plus de 10 300 morts selon l’Onu. Il a aussi fragilisé une population ouvrière de plus de 5 millions d’habitants.

Le Français Christian Carrer connaît bien la situation. AICM est impliquée depuis 2004 auprès des hôpitaux ukrainiens. A partir de 2014, il a recentré son action sur la zone de guerre, où le système de traitement des maladies infectieuses, de la rougeole au Sida, s’est effondré. AICM s’inscrit dans le concert des organisations internationales pour subvenir aux besoins des populations locales appauvries, et des hôpitaux démunis. En 2016, un constat ressort d’observatoires établis par l’Unicef: le taux d’anémie parmi les patients d’hôpitaux varie de 40% à 70%. Les femmes enceintes affectées en risque des fausses couches et des naissances prématurées. Les nouveaux-nés en sont fragilisés.

“Les enfants ukrainiens sont en général assez fragiles”, commente Christian Carrer, en raison des écarts de températures entre été et hiver. A ceci s’ajoute un taux de vaccination historiquement faible, entre 20% et 30%. Une alimentation pauvre et peu variée n’aide pas. Dans ce grand pays agricole, le régime alimentaire est principalement basé sur poulet, poisson et féculents. Légumes verts, beurre, lait ou viande sont moins disponibles, en particulier dans les territoires séparatistes de Donetsk et Louhansk. Les dizaines de milliers de personnes déplacées, de part et d’autre, sont aussi des populations précarisées et peu à même de s’offrir une alimentation équilibrée.

En 2016, un projet pilote dans la ville de Gorlovka, en république auto-proclamée de Donetsk livre des nutriments et compléments alimentaires à 1600 femmes enceintes. En conséquence, le taux de naissances prématurées a diminué de 70% à 80%. “Dans certaines maternités, ils n’utilisaient même plus les incubateurs”, se souvient Christian Carrer. Des résultats impressionnants, obtenus par des traitements simples, bien qu’inaccessible pour la plupart des populations locales. Les doses qu’AICM distribuent sont vendues en pharmacie pour environ 60-70 euros. Côté séparatiste, c’est l’équivalent d’un mois de salaire d’une institutrice.

AICM établit donc un partenariat avec une association américaine, “Vitamin Angels”, fondée dans les années 1980 par un ancien sage-femme qui s’était indigné de laisser passer des opportunités simples de renforcer les systèmes immunitaires des mères et enfants. Avec un budget d’environ 150.000 euros, à peine 5% du budget d’AICM, les deux associations ambitionnent des retombées conséquentes sur les bénéficiaires.

D’autant que le projet s’accompagne aussi d’un cycle de formations du personnel soignant, et de sensibilisation à l’importance des vitamines. Selon la plupart des ONG présentes sur place, l’accès à l’information, si ce n’est aux traitements adéquats, reste difficile dans la région. De nombreuses jeunes mères négligent leur alimentation et arrêtent l’allaitement trop tôt, mal conseillées par leurs médecins traitants. Formations et échanges d’information doivent améliorer la compréhension du phénomène. Le but étant que les résultats de cette livraison de vitamines convainquent les donateurs d’étendre le projet au reste de l’Ukraine.

3 questions à Christian Carrer, Président de la Fondation Humanitaire Internationale AICM

Ce projet a-t-il été expérimenté dans d’autres pays de l’espace post-communiste?

Non, il est assez inédit, que ce soit en Ukraine, en Géorgie, en Arménie ou dans d’autres pays de la zone où il pourrait être reproduit. Ce qui veut dire que nous avançons à tâtons, notamment en ce qui concerne la réaction des bénéficiaires. Les femmes ukrainiennes, et dans la région plus généralement, montrent de la résistance à tout ce qui peut être artificiel, médicaments ou vaccins. Avec les vitamines, on reste dans le domaine de ce qui est considéré comme naturel, donc nous avons une grande chance que le traitement soit bien accepté. Et c’est important, parce que la fertilité dans la région reste importante. Dans les seuls territoires de Donetsk et Louhansk, il y a eu 26000 naissances en 2017, malgré le fait qu’il faut avoir du courage pour faire un bébé dans ces conditions. Aussi il faut agir pour assurer la bonne santé de la population.

Plus de 4 ans après le début du conflit, est-il toujours possible de mobiliser des donateurs pour l’Ukraine?

Il n’est un secret pour personne qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir des financements. Nous sommes en septembre, et la demande budgétaire formulée par les organisations internationales ici n’est couverte qu’à 29% par les donateurs internationaux. Il y a bien sûr des situations en Syrien, en Irak, en Afrique, qui sont prioritaires parce qu’elles relèvent de l’urgence absolue. Mais concernant Ukraine, on observe une lassitude des donateurs qui ne voient pas de solution à ce conflit, qui voient que tout le pays reste au bord de la banqueroute, qui voient que la corruption reste quais-systématique, etc. Notre projet peut justement montrer que l’on peut faire beaucoup avec peu, afin que d’autres prennent le pas dans le futur. On ne s’intéresse pas beaucoup aux femmes et aux enfants d’Ukraine ces temps-ci.

AICM est l’une des seules organisations humanitaires à pouvoir travailler des deux côtés de la ligne de front. Quels sont les défis propres à chaque territoire?

Depuis 2014, on peut considérer que ce sont deux pays qui s’éloignent l’un de l’autre, même si les difficultés restent les mêmes, que ce soient les combats ou les problèmes économiques. Mais c’est un fait. Il y a 4 ans, tout le monde vivait dans un seul et même pays. Aujourd’hui, Donetsk et Louhansk sont de plus en plus tournés vers la Russie. Côté ukrainien, on fonctionne de plus en plus différemment. Nous continuons à travailler des deux côtés grâce à notre ancienneté. Les docteurs nous connaissent, et savent que l’on ne cherche pas à montrer des statistiques comme d’autres organisations. Beaucoup d’humanitaires ont monté des projets contre-productifs dans la région. Nous voulons atteindre les personnes en difficulté par l’intermédiaire des médecins. Plusieurs ONG se plaignent, et ne comprennent pas pourquoi nous avons accès à Donetsk et Louhansk. Mais que les chiens aboient, l’essentiel est que nos caravanes continuent de passer la ligne de front.

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