LLB: Qui sont vraiment les membres du bataillon Azov ?

Article publié dans La Libre Belgique, le 03/05/2022

La propagande russe en a fait l'épouvantail du nationalisme ukrainien.

Ereintés, affamés, blessés, ils ne sont plus que quelques dizaines d’hommes et des centaines de civils retranchés dans le complexe métallurgique d’Azovstal, à Marioupol, pour offrir une dernière résistance acharnée à l’envahisseur russe. Leurs chances de survie sont faibles mais peut-être certains se consolent en retrouvant là leur terre d’origine. C’est à Marioupol, sur les rives de la mer d’Azov, que s’est créé le mouvement éponyme, en mai 2014.

A l’époque, il s’agissait de reprendre la cité portuaire à diverses factions de militants anti-Kiev, de mercenaires russes et d’agents des services russes. Sous la direction de son chef Andriy Biletskiy et avec l’aide d’oligarques locaux, un groupe sous-équipé et mal entraîné, comme la plupart des bataillons de volontaires de l’époque, a libéré la métropole d’un demi-million d’habitants. La légende d’Azov était née. Très vite, ses capacités opérationnelles s’améliorent grâce à des approvisionnements conséquents et des entraînements rigoureux. En 2015, le régiment est incorporé au sein de la garde nationale tout en conservant une forte dose d’autonomie, contrairement à d’autres formations pleinement assimilées dans les forces régulières. Cela lui permet de mener une série d’offensives vers Shyrokiné, à l’est de Marioupol, et de désenclaver la ville.

Auréolé de succès sur le champ de bataille, Azov est décrié sur le champ politique. Andriy Biletskiy est une figure de l’extrême-droite ukrainienne depuis le début des années 2000 et promeut ouvertement une idéologie ultra-nationaliste radicale. Il a doté son régiment d’un symbole se rapprochant du Wolfsangel de la SS comme emblème. Selon le porte-parole d’Azov, Andriy Diatchenko en 2015, 10% à 20% des combattants d’Azov se revendiquaient comme néo-nazis. Beaucoup avaient néanmoins rejoint le régiment non par “adhésion aveugle à l’idéologie” mais “pour sa réputation, parce que le commandant était sérieux, que les gens connaissaient des proches qui y étaient déjà ou qu’ils avaient été recalés ailleurs,” explique la doctorante Coline Maestracci.

Un assemblage composite qui n’empêche pas Andriy Biletskiy d’afficher une farouche ambition: en 2016, il lance le parti politique Natsionalniy Korpous (Corps National). En 2018, il monte une milice paramilitaire “Droujina” pour “rétablir” la sécurité dans les villes ukrainiennes. Lors de dates marquantes, il fait montre d’un excellent sens de la mise en scène en menant des marches aux flambeaux, filmées avec soin. Le mouvement organise des formations militaires, y compris certaines ouvertes aux enfants. A l’international, Azov s’inscrit dans la mouvance suprémaciste blanche et prend une part grandissante dans le recrutement de mercenaires idéologiquement marqués.

Chacune de ces initiatives est très médiatisée, relayée, entre autres, par la propagande russe qui en fait l’épouvantail du nationalisme ukrainien. Pourtant, les Droujina brassent peu et Natsionalniy Korpous, allié à d’autres partis conservatrices, n’engrange que 2,15% des voix aux législatives de 2019. “L’influence d’Azov est surévaluée”, précise Andreas Umland, chercheur au Stockholm Center for Eastern European Studies. “Elle est notamment montée en épingle pour les besoins de la propagande russe. Mais leurs idées n’ont jamais pris aucun ascendant sur la société. La plupart des Ukrainiens les voient d’abord et avant tout comme des soldats efficaces face à un ennemi redoutable.”

C’est ainsi que le voit Moustafa Nayyem, personnalité de la société civile d’origine afghane, il est l’un des instigateurs de la Révolution de la Dignité de 2014. “Evidemment, encercler Azov dans Azovstal est du pain béni pour le Kremlin qui a juré de nous ‘dénazifier’”, écrit-il sur son canal Telegram. “Mais la propagande russe n’avait pas besoin de gars tatoués pour nous accuser d’être nazis, de toutes les manières. Alors on s’en fiche, de ce qu’ils disent. Leur agression inhumaine nous offre des milliers de héros, nos défenseurs tombés au combat, que nous vénérerons pendant des générations. Azov a toute sa place dans notre Panthéon.”

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