Négociations: pour quoi faire?

Le Premier ministre indien Narendra Modi est à Kyiv.

C’est la première visite d’un dirigeant indien depuis l’indépendance de l’Ukraine. C’est un évènement en soi.

Mais qu’est-il venu y faire?

Parler coopération et commerce, c’est une chose. Mais le Premier ministre a aussi “relayé ses vues” sur la nécessité d’ouvrir des négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie.

Narendra Modi n’est pas le premier à tenter une médiation diplomatique.

Mais il arrive à un moment où les rumeurs sur des négociations de paix à l’automne sont de plus en plus insistantes.

Alors, un nouveau ballon d’essai? Ou l’amorce d’un mouvement de fond?

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on va parler des perspectives et des limites à de potentielles négociations de paix.

————————————

C’est donc à la veille du jour de l’indépendance de l’Ukraine, le 24 août, que Narendra Modi a décidé de s’y rendre en visite officielle.

Donc comme je l’ai dit, il a parlé avec Volodymyr Zelensky de coopération et de commerce. les deux hommes ont signé quatre accords.

Narendra Modi a aussi rendu hommage aux victimes de l’agression russe et parlé de processus de paix.

C’est sans doute aussi un mouvement de balancier pour le Premier ministre indien. Il s’est récemment rendu à Moscou où on l’a vu faire l’accolade à Vladimir Poutine.

A cette occasion, Volodymyr Zelensky a parlé d’un énorme coup porté aux efforts de paix.

Narendra Modi veut donc sans doute rassurer les Ukrainiens

et envoyer un message aux Occidentaux qu’il n’est pas rangé du côté de leurs rivaux systémiques, avec la Russie, le Bélarus, l’Iran ou la Corée du nord.

Depuis 2022, Narendra Modi joue un jeu d’équilibriste entre Washington et Moscou: c’est un grand consommateur d’armement et de pétrole russe et l’Inde permet l’évitement d’une partie des sanctions imposées sur la Russie.

Mais elle cherche à se positionner comme puissance neutre, intégrée dans le commerce mondial et potentiellement médiatrice dans un processus de paix.

Alors, ce n’est pas la première puissance étrangère qui tente une médiation.

Le Brésil, la Turquie, le Mexique, et plus récemment la Hongrie de Victor Orban et le Quatar ont tous tenté d’appeler à un cessez-le-feu et d’ouvrir des négociations.

Ce qui dénote la dimension globale du conflit. Il ne s’agit pas seulement d’un conflit régional

Et de nombreux acteurs voudraient régler cette situation qui empoisonne les relations internationales.

Mais aucun de ces efforts n’a pour l’instant abouti, les conditions n’étant pas réunies.

Je vais y revenir.

On se demande ce que l’Inde pourrait accomplir de plus.

New Delhi n’a pas signé le communiqué issu de la conférence pour la paix qui s’est tenu en Suisse en juin.

Narendra Modi ne souscrit donc pas à la formule proposée par Volodymyr Zelensky.

———————————

Et pourtant, sa visite à Kyiv intervient alors que les rumeurs d’ouverture de négociations pourraient se tenir à l’automne, en fonction des résultats de l’élection américaine.

Les Russes ont soigneusement poussé ce narratif, tout en continuant leurs avancées dans le Donbass.

Côté ukrainien, de récents sondages ont montré un nombre croissant d’Ukrainiens favorables à des négociations.

L’incursion de Koursk peut donc être vue comme une tentative de s’aménager un avantage tactique, dans le but d’avoir un levier dans les pourparlers, ou même pour échanger des territoires.

Les récentes frappes sur la Crimée et en profondeur en Russie peuvent aussi être une manière d’affaiblir Moscou avant de discuter.

Les Ukrainiens suivraient ici la recette russe: monter en tension et lancer une offensive juste avant l’ouverture de négociations.

A moins que ce ne soit les prémices d’une offensive plus conséquente des forces armées ukrainiennes… Mais cela il est encore trop tôt pour anticiper quoi que ce soit.

——————————————

Pourquoi des négociations maintenant? Tout simplement parce que les deux belligérants semblent à bout de souffle.

Moscou et Kyiv ont de sérieux problèmes de ressources humaines, d’armement et d’équipement.

Leurs économies souffrent.

Parmi leurs populations la lassitude se fait sentir.

——————————————

Est-ce que cela justifie l’ouverture de négociations? On en parle beaucoup.

On entend beaucoup que tout conflit se termine par des négociations.

Ce qui n’est pas exactement vrai. La guerre de Corée ou les conflits entre Israël et les pays arabes n’ont pas fait l’objet d’accords de paix…

Et puis, les blocages qui avaient empêché les négociations jusqu’à présent existent toujours.

Quand il a envahi l’Ukraine le 24 février 2022, Poutine a clairement manifesté ses velléités d’anéantir la souveraineté ukrainienne.

Tel qu’il l’avait annoncé, cela passait par la chute du gouvernement, la démilitarisation du pays, la paralysie de sa politique étrangère et la re-russification de sa population.

Afin que l’Ukraine existe de nouveau sous la forme d’une Petite Russie, comme au temps des tsars.

Un projet impérialiste s’il en est.

Quand il n’a pas pu atteindre cet objectif politique, il est passé dans une démarche de destruction et d’annexion territoriale.

Dans cette logique, il a déjà annexé 4 oblasts ukrainiens sur le papier.

Et cette annexion territoriale, elle ne peut pas se satisfaire des ruines du Donbass.

La conquête du Donbass c’est un élément de language.

Mais la région est dévastée, ruinée, polluée, nécessitant des investissements colossaux.

Une expansion territoriale ne peut être complète qu’avec des grandes villes comme Kharkiv ou Dnipro

Et évidemment le joyau de la couronne, Odessa et ses ports.

Donc si négociations il y a et que celles-ci débouchent sur un accord de cessez-le-feu ou de paix,

sans changement de gouvernement ukrainien ou de réelle conquête territoriale,

cela ne peut être qu’une pause.

C’est comme ça que le perçoivent les Ukrainiens.

Ils sont plus ouverts à l’idée de négociations, je l’ai déjà dit.

Mais plus de 70% croit dur comme fer à la victoire.

Et une majorité rejette la perspective de concessions territoriales.

Ce serait une menace permanente

Qui empêcherait le déminage, la reconstruction d’immenses régions.

des millions de réfugiés ne pourraient pas revenir.

Et si jamais des concessions territoriales se profilent comme une fatalité, les Ukrainiens n’y consentiraient que si elles s’accompagnent de garanties de sécurité, de la promesse d’une intégration euro-atlantique renforcée.

Qui garantisse l’indépendance et la sécurité de ce qui reste de l’Ukraine.

—————————

En soi, on voit que les positions sont susceptibles d’évoluer.

Des négociations sont de toutes les manières faites pour rapprocher des positions a priori irréconciliables.

Il y a beaucoup à discuter: les échanges de prisonniers, le déminage, la reconstruction, le statut de la Crimée, etc.

A condition d’avoir en face de soi un interlocuteur qui respecte ses engagements.

Ce que la Russie n’a pas fait depuis plus de 20 ans, en Ukraine et ailleurs.

On voit donc bien la quadrature du cercle.

Et si des puissances étrangères cherchaient à imposer une paix en Ukraine, ils devraient prendre en compte le double language russe.

On se rappelle d’Emmanuel Macron et d’autres Européens qui se sont estimés manipulés et trompés par Vladimir Poutine plus d’une fois.

Les puissances étrangères doivent aussi prendre en compte les Ukrainiens, qui ont démontré depuis 2014, de Maïdan à Koursk, qu’ils veulent être en charge de leur propre destin.

La question est donc particulièrement complexe.

mais à part si Narendra Modi a réussi une prouesse à Kyiv, l’ouverture de négociations n’est pas pour demain.

Et d’ici là, il peut encore se passer beaucoup de choses…

Merci d’avoir regardé cette vidéo!

Previous
Previous

La fin de l’Église russe?

Next
Next

Quelle Kamala pour l’Ukraine?