Quel avenir pour la Crimée?

Un monument a été inauguré aujourd’hui dans le centre de Kyiv.

Il est dédié aux Tatars de Crimée et aux tragédies qu’ils ont subi au fil des siècles.

L’inauguration s’est tenue en marge du 4ème sommet de la “plateforme de Crimée” qui se tient tous les ans pour coordonner les efforts afin que l’Ukraine recouvre sa souveraineté sur la péninsule.

Un évènement qui a été l’occasion pour plusieurs leaders internationaux de répéter que la Crimée c’est l’Ukraine.

Y compris Recep Tayyip Erdogan.

Mais rien ne sera facile.

Bonjour à tous c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on parle de la Crimée depuis 2014 et des Tatars de Crimée

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Je commence avec l’inauguration de ce monument qui permet de donner un peu de contexte historique.

Il s’agit d’un monument en trois parties, chacune dédiée à une date marquant une tragédie du peuple des Tatars de Crimée.

1783: l’annexion de la péninsule par l’empire russe

qui marque la fin du Khanat de Crimée, le royaume qui avait existé pendant environ 500 ans sous plusieurs formes.

et provoque une première vague d’émigration des Tatars, notamment vers l’empire ottoman.

Les structures du Khanat vont être progressivement démantelées

et une immigration russe va s’intensifier, notamment à partir de la fin du 19ème siècle.

Deuxième date: 1944: du 18 au 20 mai, Staline prend la décision de déporter l’ensemble des Tatars de Crimée vers les républiques soviétiques d’Asie centrale, notamment l’Ouzbékistan

Officiellement c’est pour punir les Tatars d’avoir collaboré avec les Nazis

Même si c’était le fait d’une minorité

Globalement, c’est une politique qui s’est inscrite dans des déplacements de population de masse après la seconde guerre mondiale, des Etats baltes au Caucase en passant par la Pologne.

Les Tatars passent 40 ans en exil et n’obtiennent l’autorisation de revenir qu’en 1989-1991.

En 1991, la Crimée est reconnue comme faisant partie de l’Ukraine indépendante, c’est validé par un référendum.

Evidemment le contexte était très particulier, personne ne s’imaginait à l’époque que l’Ukraine et la Russie allaient vraiment se séparer

Mais le fait est que la souveraineté ukrainienne sur la péninsule a été exprimé et validé par le droit international et un traité avec la Russie au cours des années 1990.

Troisième date, troisième tragédie: 2014 et l’annexion de la péninsule par la Russie.

Vladimir Poutine avait déployé plus de 20.000 hommes et organisé un simulacre de référendum à la va-vite.

L’annexion a provoqué une nouvelle vague d’émigration des Tatars, cette fois vers l’Ukraine continentale et aussi vers la Turquie.

Et pour ceux des environ 200.000 Tatars qui sont restés sur place, la situation n’a pas été catastrophique, comme à l’époque stalinienne,

mais l’administration russe s’est caractérisée par un certain nombre d’expropriations et de poursuites judiciaires.

En 2021, Volodymyr Zelensky prend l’initiative de lancer la “plateforme de Crimée”

Pour documenter la situation sur la péninsule, coordonner les efforts pour renouveler la souveraineté ukrainienne,

et prévoir l’avenir du territoire.

C’était intéressant à l’époque car la Crimée avait été tenue à l’écart des négociations entre l’Ukraine et la Russie.

Les protocoles de Minsk traitaient exclusivement du Donbass, pas de la Crimée.

Le Président d’alors Petro Porochenko avait fait le choix d’enterrer le dossier.

Volodymyr Zelensky l’a réactivé

et moi en 2022, je disais que c’était l’une des nombreuses raisons pour lesquelles la Russie avait envahi l’Ukraine; le fait que Kyiv ne voulait pas sanctuariser l’annexion de 2014.

Depuis 2021, la plateforme se tient donc tous les ans,

elle a pris une dimension tout à fait particulière dans le cadre de l’invasion généralisée

et elle est l’occasion pour beaucoup de leaders internationaux de rappeler que la Crimée, c’est l’Ukraine au vu du droit international.

Les occidentaux évidemment.

Mais aussi le Turc Recep Tayyip Erdogan.

qui a rappelé aujourd’hui dans un message vidéo que la Turquie souhaite sincèrement que la guerre se termine par une paix juste et durable, sur la base de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sa souveraineté et son indépendance.

Venant d’Erdogan c’est intéressant

parce que la Turquie est une puissance majeure dans la mer noire, elle contrôle les détroits

et elle joue sur tous les tableaux depuis des années.

Membre de l’Otan, elle apporte un soutien important à l’Ukraine

avec la production de drones Bayraktar et la protection du corridor céréalier

Mais en même temps c’est aussi une puissance aux visées impérialistes, à la politique transactionnelle,

qui permet à la Russie de contourner une partie des sanctions occidentales, et abrite de nombreux oligarques russes en exil.

La Turquie a récemment annoncé sa candidature aux BRICS, un groupe de pays dominé par la Russie et la Chine qui ambitionne de faire contre-poids au G7 occidental.

C’est donc particulièrement intéressant qu’Erdogan adopte une position si maximaliste quant au sort de la Crimée.

Le retour de la Crimée dans le giron ukrainien, c’est aussi un vaste sujet.

Je passe par-dessus les considérations militaires, si c’est possible, comment c’est possible, quelles en seraient les conséquences.

Si jamais l’Ukraine retrouve un jour le contrôle de la Crimée, par la force ou par des moyens diplomatiques,

les défis seront colossaux.

On compte plus de deux millions d’habitants en Crimée.

Parmi eux un grand nombre qui ont soutenu l’annexion en 2014 mais aussi des Russes de Russie qui y ont emménagé depuis.

Comment Kyiv traiterait-elle ces populations?

Qui des titres de propriété des bâtiments qui ont été construits depuis 2014?

Le sort des Tatars de Crimée n’était pas particulièrement enviable dans la Crimée ukrainienne avant 2014,

ils souffraient de beaucoup de discriminations et d’une situation économique très précaire.

Depuis 2014 les Tatars ont acquis une place importante dans la sphère culturelle ukrainienne, au titre de la tragédie de l’annexion.

Mais est-ce que l’Ukraine leur aménagerait une place plus favorable en cas de reprise de la péninsule, en tant que réel peuple autochtone?

S’ajouteront à cela des questions environnementales, économiques, sécuritaires, de relations à la Russie…

Chaque année la plateforme de Crimée pose ces questions, mais y apporte peu de réponses pour l’instant

En tout cas la symbolique est très forte: l’Ukraine n’a pas abandonné la Crimée, du moins pas politiquement.

Merci!

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