Quelle occupation pour Koursk?

Depuis plus de 3 semaines, L’Ukraine est devenue une puissance occupante sur le territoire d’un pays étranger.

Elle occupe en effet militairement une centaine de localités sur plus de 1500 kilomètres carrés dans l’oblast de Koursk, en Russie.

On comprend que l’Ukraine n’occupe ces territoires qu’en réaction de l’invasion généralisée que lui livre la Russie depuis 2022.

Mais il n’empêche, les défis logistiques, sécuritaires sont colossaux, de même en terme de réputation.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on parle de l’administration ukrainienne des territoires occupés russes. Ce qui nous amènera à faire un petit point de situation militaire.

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Depuis son incursion dans l’oblast de Koursk, l’Ukraine contrôle donc une centaine de localités sur une zone de plus de 1500 kilomètres carrés.

Cette zone pourrait s’agrandir si l’Ukraine conquiert une bande de terre de 600 kilomètres carrés supplémentaires entre la rivière Sejm et la frontière ukrainienne.

Mais on n’y est pas encore.

On ne sait pas le nombre de civils russes qui sont restés sur place.

Mais si l’on considère que la principale ville conquise, Soujda, comptait entre 5000 et 6000 habitants début août, les villages doivent être bien moins peuplés, et on arrive à une population entre 10.000 et 15.000 personnes.

Ce n’est qu’une estimation

D’après les images que l’on reçoit de la zone, il s’agirait principalement de personnes âgées et de populations rurales.

Dès son entrée en Russie, l’Ukraine a emporté dans ses bagages des services de logistique pour établir son administration dans les territoires qu’elle a conquise.

Je m’arrête un instant car Volodymyr Zelensky parle de territoires “libérés”, ce qui pose question.

Quand les Ukrainiens reprenaient leurs territoires occupés en 2022, on parlait à juste titre de territoires libérés.

Quand les groupes russes anti-Poutine avaient mené des raids dans la région de Belgorod, il parlaient aussi de libération car pour eux c’était une partie de Russie libérée du Kremlin.

Mais là, s’agit-il de libérer ces territoires et populations russes de la Russie? Ce n’est pas clair.

Je ferme la parenthèse et je reviens à la logistique.

L’Ukraine a acheminé des convois humanitaires, des missions médicales

et a même autorisé la poste nationale, Ukrposhta, à lancer un service postal dans ces territoires.

Le tout combiné à la présence d’unité du génie et de travaux très rapides pour creuser des tranchées et fortifier les positions:

tout a indiqué très tôt que l’Ukraine comptait rester.

Mais rester, cela veut dire quoi? C’est une chose de reprendre le contrôle de ses territoires et de libérer sa population, mais qu’en est-il d’administrer une population étrangère?

On voit passer des vidéos de femmes âgées, très polies avec les soldats ukrainiens, leur parlant elles-mêmes avec des mots d’ukrainien

La région frontalière était très ukrainophone il y a encore une centaine d’années, avant les deux guerres mondiales et la grande famine.

Mais ces babouchki, ces fameuses grand-mères voilées ne peuvent pas être représentatives de la globalité de la population

l’Ukraine doit administrer une population qu’elle doit considérer par défaut comme lui étant hostile.

Ce qui implique des défis humanitaires conséquents, pour la distribution des ravitaillements

mais aussi l’entretien des infrastructures. Est-ce que les Ukrainiens vont aller réparer le robinet qui fuit d’une famille russe?

Pour l’instant, on n’a pas assisté à des scènes de pillage comme ceux auxquels les Russes ont pu se livrer en Ukraine depuis 2022

Mais on parle d’une fenêtre de trois semaines. Que se passera-t-il en hiver? Quelle maison les soldats ukrainiens réquisitionneront pour y passer la saison froide? Dans quel état la rendront-ils?

Sans oublier les éventuels actes d’incivilités ou de violence qui peuvent accompagner une occupation de longue durée,

quand tout le monde est fatigué, que la situation se détériore à cause d’une éventuelle contre-offensive russe…

Et puis cette population russe sous occupation, va-t-elle rester les bras croisés? Ou va-t-elle se livrer à des actes de sabotage ou de guérilla, une fois qu’elle se sera organisée contre l’occupant?

L’Ukraine joue gros en termes logistiques, sécuritaires et aussi en matière de réputation.

Et pour être honnête, on en est déjà à la quatrième semaine, et les objectifs finaux de l’opération apparaissent encore un peu flous.

Volodymyr Zelensky est très loquace sur la question, il assure que l’opération se déroule selon les plans,

qu’elle fait partie d’un plan pour la paix qu’il va proposer aux candidats à l’élection américaine en septembre.

qu’elle est un pré-requis à l’organisation d’un second sommet pour la paix, après celui qui s’était tenu en Suisse en juin.

Mais lors d’une récente conférence de presse, Volodymyr Zelensky a quand même face à des journalistes qui étaient moins enthousiastes.

Plus de 30.000 soldats russes s’amassent dans l’oblast de Koursk, et le Kremlin a habitué sa population que la reconquête prendrait plusieurs mois.

Et tant pis pour les dégâts.

On ne sait donc pas si cette opération, audacieuse et très symbolique sur le plan politique et diplomatique,

ne va pas se terminer en boucherie, au détriment des Ukrainiens.

Tout cela pour le contrôle d’une centaine de villages.

La centrale nucléaire de Koursk, qui fait couler beaucoup d’encre, elle est à 60 kilomètres des positions ukrainiennes, hors d’atteinte pour l’instant.

Et puis, en parlant de boucherie… les troupes russes n’ont pas cessé leurs avancées sur Pokrovsk dans le Donbass

On constate un ralentissement, mais ce n’est pas forcément dû à un retrait des troupes russes, plutôt au fait que les Russes entrent plus lentement dans des zones urbaines, alors qu’avant ils progressaient plus rapidement en rase campagne.

La Russie et l’Ukraine semblent se livrer ici deux batailles en parallèle. La Russie à Pokrovsk, l’Ukraine à Soujda.

Et l’on peine à savoir qui a raison, à supposer que l’un des deux a raison.

On parlait d’une éventuelle autre opération ukrainienne sur un autre front, mais pour l’instant on ne voit rien, et l’hiver sera là dans deux mois.

Et dans tout cela, l’Ukraine doit assigner des ressources non-négligeables à l’occupation de ses territoires russes occupés.

C’est ce que l’on appelle le brouillard de la guerre, et en cette fin août, il est très épais.

Merci!

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