Dans quel camp joue la Hongrie?

Un ministre des affaires étrangères d’un Etat-membre de l’Union européenne a passé sa journée à Moscou, vendredi 30 août.

Cela peut paraître incongru, déplacé diront certains, depuis 2022 et la quasi-suspension des relations diplomatiques entre la Russie et les pays occidentaux.

Mais si l’on est Peter Szijjarto, le ministre hongrois des affaires étrangères de Viktor Orban, c’est parfaitement normal.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Viktor Orban a tout fait pour rompre des rangs avec l’Union européenne - sauf quand il s’agit d’argent -

Et dans le contexte de la guerre en Ukraine, il a de moins pu cacher les apparences.

Bonjour à tous c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on va parler pas tellement de Hongrie mais de la politique hongroise vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, et son étonnante hyperactivité diplomatique ces derniers temps.

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Je commence avec ce point d’actu: le ministre des affaires étrangères Peter Szijjarto était à Moscou hier.

Il est venu y parler de sécurité énergétique.

Depuis 2022, les pays européens ont fortement réduit leurs approvisionnements en gaz, gaz naturel et pétrole depuis la Russie.

Mais la Hongrie a demandé une série d’exemptions et reste très dépendante pour ce qui est du pétrole et du nucléaire.

La Slovaquie aussi est très dépendante du pétrole russe.

En juin, l’Ukraine a imposé des sanctions sur Lukoil, le deuxième groupe pétrolier russe. Depuis, le transit de son pétrole par l’oléoduc Drujba, qui passe par le territoire ukrainien.

Budapest et Bratislava ont tout de suite protesté et demandé à Bruxelles de faire pression sur Kiev.

Mais en fait il s’est avéré que Lukoil vend désormais son pétrole aux compagnies pétrolières Rosneft et Tatneft, qui l’écoule ensuite dans l’oléoduc Droujba.

Donc le flot d’or noir est constant.

De toutes les manières, les pays européens, qui ont diversifié leurs approvisionnements, pourraient organiser des livraisons alternatives à la Hongrie.

Mais Viktor Orban n’a pas l’air intéressé par la solidarité européenne: il préfère traiter directement avec Vladimir Poutine.

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La proximité de Budapest et Moscou, elle n’allait pas de soi, les Hongrois gardant un mauvais souvenir de la période communiste, notamment de l’intervention soviétique de 1956.

Cette proximité, elle s’est forgée ces dernières années quand Viktor Orban a entamé plus accéléré sa dérive illibérale très vite après son élection en 2010.

Après 2014, Maïdan, la Crimée et le Donbass, Viktor Orban s’est aussi mis à critiquer âprement l’Ukraine.

D’abord sur des questions de protection de la minorité hongroise, environ 100.000 personnes dans l’extrême ouest du pays.

Ensuite sur des questions de corruption, bien que son régime soit lui-même empêtré dans de nombreuses affaires.

Et aujourd’hui sur la conduite de la guerre.

Viktor Orban refuse toute livraison d’armes à l’Ukraine, s’oppose régulièrement à l’aide financière, a tenté de bloquer l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE…

Il a pris l’habitude de conditionner son vote au versement de fonds structurels européens qui sont bloqués par la Commission à cause de la situation politique hongroise. Et jusqu’ici il a obtenu gain de cause.

On accuse la Hongrie d’être alignée sur Moscou, d’être un cheval de Troie de Vladimir Poutine dans l’Union européenne et dans l’Otan.

Viktor Orban martèle lui qu’il défend avant tout les intérêts hongrois, qu’il est du côté de la paix, qu’il ne veut pas aider l’Ukraine parce qu’il ne veut pas d’escalade…

Il n’est pas le seul à penser de cette manière en Europe ou aux Etats-Unis. Mais lui va même plus loin:

S’il n’aide pas l’Ukraine, il met même en place une détente avec la Russie.

l’agence russe du nucléaire Rosatom a été choisie en juin pour construire deux nouveaux réacteurs à la seule centrale du pays.

Et en juillet, Budapest a assoupli son régime d’immigration pour les citoyens russes et bélarusses, en les incluant dans son programme de carte nationale.

Ses détenteurs peuvent travailler en Hongrie pendant deux ans, faire venir leurs familles et demander un permis de résidence permanent

La Hongrie fait partie de l’espace Schengen. Ses partenaires européens se sont donc inquiétés de la perspective d’avoir des citoyens russes et bélarusses pénétrer l’espace Schengen sans contrôles, et aller et venir à leur gré.

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Récemment, Viktor Orban a fait preuve d’une hyperactivité diplomatique.

D’abord, lui qui était un peu esseulé, il s’est trouvé un nouvel allié, depuis la victoire en Slovaquie voisine de Robert Fico, qui épouse peu ou prou les mêmes lignes illibérales et russo-compatibles.

Lui est il est même allé jusqu’à lancer des poursuites en justice contre l’ancien gouvernement qui avait livré des armes et du matériel à l’Ukraine.

Les procédures sont en cours, on verra ce qu’elles donneront.

Ensuite, Viktor Orban a réussi un joli coup de filet en attirant à lui d’autres forces conservatrices, souverainistes, illibérales pour former un groupe au sein du nouveau Parlement européen.

C’est le groupe qu’a rejoint le Rassemblement national français.

Mais surtout, l’hyperactivité de Viktor Orban est permise par sa présidence du conseil de l’Union européenne.

C’est une présidence tournante, chaque Etat-membre l’occupe pendant six mois à tour de rôle. Pour la Hongrie, c’est du 1er juillet au 31 décembre de cette année.

Dès le lancement, il s’est rendu bille en tête à Kyiv, puis à Moscou, puis à Pékin, puis à Washington pour le sommet de l’Otan.

Avant de terminer à Mar-a-Lago pour y consulter Donald Trump.

Dans sa valise, l’ébauche d’un plan de paix, ce qui en a fait sourire plus d’un et qui en a agacé beaucoup d’autres.

Mais pourquoi est-ce important? parce qu’à partir de ce moment, les rumeurs d’ouverture de négociations de paix se sont faites insistantes.

On les attendait pour l’automne, en fonction des résultats des élections américaines.

Mais entre temps, Joe Biden a jeté l’éponge, Kamala Harris a toutes ses chances de l’emporter, et l’Ukraine a occupé une partie de l’oblast de Koursk en Russie.

Donc la situation a changé. Mais on voit avec cette controverse sur le pétrole de Lukoil que Viktor Orban cherche n’importe quel moyen pour enfoncer un coin dans l’alliance occidentale avec l’Ukraine.

Il peut par exemple se servir de sa présidence du conseil de l’Union européenne pour décider de l’ordre du jour et retarder des discussions ou des votes concernant l’Ukraine.

Et il lui reste 4 mois de présidence de l’UE.

Merci d’avoir regardé jusqu’au bout

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