Remaniement: la Présidence toute-puissante

Le récent remaniement ministériel en Ukraine a fait couler beaucoup d’encre cette semaine.

Il a surpris, dans le contexte de l’invasion généralisée.

Il établit un super ministère de l’intégration européenne

Il ouvre la porte à une inflexion de la politique étrangère pour l’éventuelle ouverture de négociations

Mais surtout, ce remaniement consacre le contrôle quasi-total de la Présidence sur la politique ukrainienne.

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on va parler de la concentration des pouvoirs en Ukraine dans le cadre de la loi martiale, et de ce que ça implique.

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Alors donc on y voit plus clair dans le remaniement qui a été entamé en début de semaine

On a donc six ministres qui ont déposé leur démission le 4 septembre

La plupart d’entre eux ont été réaffectés à différents postes.

Le gouvernement comptait 22 ministres il y a une semaine, donc 5 ministres par intérim

Cela compliquait les prises de décisions et les votes au sein du cabinet.

Il y a désormais 20 ministres, tous officiellement nommés et en plein exercice.

C’est donc un cabinet resserré, plus fonctionnel et donc censé être plus efficace.

Les changements ont aussi affecté deux chefs d’agence d’Etat et un conseiller de la Présidence.

L’efficacité était le leitmotiv du remaniement, afin de faire face aux défis de l’automne: le budget, l’énergie, les relations avec les collectivités territoriales, l’approvisionnement en systèmes de défense anti-aérienne.

Un des résultats les plus intéressants du remaniement, c’est la fusion des ministères de l’intégration européenne et de la justice.

Cela montre à quel point la priorité est donnée à l’intégration européenne

On sait que rien n’est vraiment possible sans une refonte de la justice pour renforcer l’Etat de droit, on appelle ça la mère de toutes les réformes.

Et en plus de ça, il y a toute l’harmonisation de la législation à mettre en oeuvre.

Donc dans le cadre de l’intégration européenne, c’est une avancée notable qui montre que l’Ukraine prend ce dossier très au sérieux.

Mais plus généralement, ce remaniement est caractérisé par la main-mise de la Présidence sur le gouvernement.

On a assisté à un jeu de chaises musicales, des ministres démissionnaires qui ont rejoint le cabinet du Président et des adjoints de la Présidence qui sont devenus ministres.

Le tout étant lié aux impulsions de Volodymyr Zelensky évidemment

Mais surtout de son chef de cabinet Andriy Yermak

Andriy Yermak est un personnage incontournable depuis sa nomination en 2020.

Volodymyr Zelensky a un rôle d’impulsion et de communication

Mais c’est vraiment Andriy Yermak qui gère la machine de l’Etat.

Donc les nouveaux ministres nominés, ils lui sont liés personnellement

Le conseiller de la présidence qui a été remercié, il était soupçonné de conflits d’intérêts et de corruption dans le secteur énergétique.

Visiblement Andriy Yermak a résolu un conflit entre ce conseiller et le ministre de l’énergie, selon le média en ligne Oukrainska Pravda.

Pareil pour le chef de la compagnie d’électricité nationale, Ukrenergo.

Avec ce remaniement, on voit qu’Andriy Yermak s’est tissé un véritable réseau de collaborateurs loyaux

qu’il détient quasiment toutes les rênes du pouvoir

et donc on ne parle même pas d’une concentration du pouvoir au sein de l’exécutif mais au main du cercle très resserré de la Présidence

Le Parlement, c’est d’abord et avant tout une chambre d’enregistrement.

Attention, cela ne veut pas dire qu’il y a une dérive autoritaire.

La Présidence utilise les prérogatives qui lui sont accordées par la loi martiale

il reste des partis d’opposition, des voix discordantes, des opinions contradictoires,

les médias sont plus concentrés qu’avant avec le marathon médiatique qui unifie les bulletins d’information

mais les débats, reportages et investigations sont possibles et restent libres de toute pression politique.

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Le fait que la Présidence concentre tous ces pouvoirs, il faut le voir selon trois clés de lecture:

d’abord le style Zelensky. Dans sa carrière d’acteur et de producteur il s’est appuyé sur un petit groupe de fidèles

et il a reproduit ce schéma une fois qu’il est arrivé à la Présidence

Andriy Yermak était auparavant un producteur avec lequel il avait travaillé

donc le choix de ses collaborateurs est d’abord basé sur la confiance et la loyauté

avant d’être motivé par la compétence

Deuxièmement, est-ce que cette concentration des pouvoirs renforce l’efficacité du gouvernement?

ça, pour l’instant ça a l’air d’être le cas, avec notamment ce super ministère de l’intégration européenne et le renforcement de la cohérence du cabinet

Mais ce n’est pas non plus vrai dans l’absolu.

Le ministère de la défense qui est décrit par une organisation de lutte contre la corruption comme le ministère du chaos n’a pas bougé d’un iota

un autre ministère devait être créé qui devait s’appeler le ministère de l’unité pour coordonner les relations avec la diaspora, les Ukrainiens qui fuient la mobilisation, les Ukrainiens des territoires occupés: ça n’a pas été fait.

et la concentration des pouvoirs peut encore accélérer les conflits d’intérêts et les affaires louches dans lesquels trempe plusieurs personnalités de la Présidence.

Volodymyr Zelensky n’est pas une figure qui est associée à ces affaires

Mais Andriy Yermak et ses collaborateurs, oui.

Ce qui nous amène à la troisième clé de lecture: le temps

Cette concentration des pouvoirs dans le cadre de l’invasion, c’est une chose

Si elle dure quelques mois, avec des évolutions sur le front qui amènent l’ouverture de négociations et la levée de la loi martiale, alors ça peut se justifier

Mais si ça dure un an, deux ans, cinq ans et que la Présidence n’élargit pas sa gouvernance à l’opposition ou à la société civile,

Cela va poser beaucoup de questions sur la légitimité de l’exécutif.

Le fait que Volodymyr Zelensky et Andriy Yermak ne cherchent pas à consolider l’union nationale en donnant un rôle à l’opposition, même mineur, est de plus en plus critiqué.

Et l’opposition s’exprime de plus en plus à travers les maires des grandes villes, c’est là qu’il y a les réels contre-pouvoirs à l’autorité présidentielle.

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Alors, justement je vais finir sur cette notion de temps et de perspectives de la guerre.

Il n’y avait aucune raison objective de congédier le ministre des affaires étrangères, Dmytro Kuleba.

Il représentait l’Ukraine depuis 2020 et il avait acquis une stature non-négligeable dans le cadre de l’invasion.

Il est remplacé par Andriy Sybiha, un diplomate de carrière qui était, jusqu’à peu, un adjoint d’Andriy Yermak.

ce changement n’est pas connecté au contrôle d’un secteur économique ou énergétique.

C’est clairement un signe que la Présidence veut infléchir sa politique étrangère.

Dmytro Kuleba était considéré comme trop indépendant de la Présidence et trop marqué par un discours absolutiste.

Donc il s’agit de changer de tempo dans les relations avec les occidentaux pour l’approvisionnement en armes.

Mais aussi préparer le pays à d’éventuelles négociations avec la Russie.

C’est dans l’air depuis quelques semaines,

et en fait on ne sait pas si cela se fera, ça dépendra aussi des résultats des élections américaines.

Mais l’opération à Koursk et le remaniement ministériel montrent que l’Ukraine se positionne en vue de futures négociations

C’est donc cela qu’il faut retirer de ce remaniement: la main-mise quasi-totale de la Présidence sur l’appareil d’Etat

et la rationalisation de l’exécutif dans le cadre de l’invasion généralisée

et la consolidation des pouvoirs de la Présidence dans la perspective de l’ouverture de négociations.

Merci d’avoir regardé!

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