Reporterre: En Ukraine, un hôpital sauve des vies grâce à ses panneaux solaires

Reportage publié sur le site de Reporterre, le 19/11/2024.

La guerre en Ukraine favorise la décarbonation de son mix énergétique. De plus en plus de panneaux solaires sont installés afin de pallier les destructions des centrales thermiques par la Russie.

Autour de l’hôpital municipal de Jytomyr, ville au nord de l’Ukraine, les collines se parent de leurs couleurs d’automne. Mais ce n’est pas la vue, magnifique, qui capte l’attention en ce mois d’octobre. Ce sont les 125 panneaux solaires alignés sur la terrasse de l’établissement public. « Ils ont été posés en juillet 2023 et ils sont tout de suite devenus essentiels au bon fonctionnement de notre établissement », explique Vasyl Vazlenko, directeur adjoint aux questions techniques et portant une épaisse moustache. L’hôpital de 450 lits occupe une place centrale dans cette capitale régionale d’au moins 250 000 habitants. « Nous travaillons 24 heures sur 24, sans interruption. Nos patients ne peuvent se permettre une coupure de courant sur le réseau », poursuit-il.

Les 48 kilowatts de puissance de cette mini-centrale solaire alimentent directement les ailes de chirurgie, de réanimation et de maternité, mais aussi le département de stérilisation et la cantine, en fonction du taux d’ensoleillement. « Le projet a pris forme en 2022 », raconte le directeur adjoint. Premier objectif : réaliser des économies. En produisant sa propre électricité, l’hôpital diminue ses frais de fonctionnement d’environ 20 % « et nous pouvons allouer des ressources à d’autres postes », dit Vasyl Vazlenko. Grâce au soutien de l’ONG environnementale EcoClub et du producteur tchèque de panneaux photovoltaïques Solsol, la ville n’a payé que l’installation de la mini-centrale.

Sur la terrasse de l’hôpital de Jytomyr, 125 panneaux solaires ont été installés pour éviter les coupures de courant. © Sébastien Gobert/Reporterre

« Ces panneaux solaires ont sauvé des vies »

« Vu la campagne de destruction systématique de nos infrastructures énergétiques par les Russes, il s’est avéré que ces panneaux solaires ont sauvé des vies », complète Vasyl Vazlenko. Depuis la première campagne de bombardements, fin 2022, l’Ukraine aurait perdu plus de neuf gigawatts de ses capacités de production d’électricité héritées de l’ère soviétique, notamment huit centrales thermiques et cinq hydrauliques.

Sur la terrasse de l’hôpital de Jytomyr, 125 panneaux solaires ont été installés pour éviter les coupures de courant. © Sébastien Gobert/Reporterre

La dernière vague de destructions massives, en été 2024, a provoqué des coupures de courant s’étalant parfois sur plus de dix heures par jour. Mais pas à l’hôpital, où les panneaux photovoltaïques ont permis de faire tourner la majorité des services. Six générateurs au diesel ont occasionnellement pris le relais, lors de journées nuageuses. « Disposer de cette mini-centrale solaire a aussi permis d’économiser l’essence des générateurs et de répartir plus équitablement l’électricité disponible sur le réseau, dit Oleksandr Hontcharouk, en charge des projets d’infrastructure à la municipalité. C’est un cercle vertueux. »

Les mérites de la décentralisation

Malgré d’intenses efforts de réparation, de renforcement des défenses, et les assurances européennes de livraisons additionnelles d’électricité, l’hiver qui s’amorce pourrait être « le plus difficile », selon le Premier ministre Denys Shmyhal — ceci dépendant des températures hivernales et des attaques russes. À l’instar de Jytomyr, de nombreuses villes ont multiplié les initiatives visant à décentraliser la production énergétique et à éviter les pénuries, des grandes agglomérations aux immeubles en copropriété en passant par les communautés de communes rurales.

« La réforme de la décentralisation, appliquée depuis 2015, a beaucoup aidé à la résilience du pays, précise Anna Ackermann, experte sur les questions d’environnement et membre du conseil d’administration de l’ONG EcoAction. Les collectivités territoriales avaient commencé à agir par elles-mêmes sans attendre des directives du gouvernement central. À partir de 2022, cela les a rapidement motivées à remettre en cause le système énergétique centralisé. » Les systèmes de cogénération d’électricité et de chaleur, les mini-centrales solaires et thermiques, les installations de production de biogaz ou de biomasse s’imposent, peu à peu, comme une réalité parallèle au réseau national.

Les hôpitaux prioritaires

À Jytomyr, l’invasion de la Russie a accéléré un mouvement initié en 2018, quand la ville a annoncé vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, dans le cadre de la Convention des maires pour le climat et l’énergie, soutenu par la Commission européenne. « La guerre justifie nos efforts, mais notre motivation première était la protection de l’environnement », tient toutefois à rappeler l’adjointe au maire de Jytomyr, Svitlana Olchanska. Pour preuve, la ville s’était engagée à réduire ses émissions de CO2 de 30 % d’ici 2030. « Nous en sommes déjà à 36,4 % », affirme-t-elle. La pose de panneaux photovoltaïques sur l’hôpital n’est qu’une étape dans une longue série d’efforts d’isolation thermique et d’autonomisation des bâtiments de la ville, à commencer par les installations publiques.

« Nos hôpitaux sont des bénéficiaires prioritaires car ils doivent fonctionner sans interruption », dit Oleksandr Hontcharouk, le chargé des projets d’infrastructure de la mairie. Les centres d’épuration et de distribution d’eau ont aussi été équipés de panneaux photovoltaïques. En ce qui concerne les écoles, les efforts se sont concentrés sur les systèmes de ventilation en sous-sol, « étant donné que les enfants passent beaucoup de temps dans les abris lors des alertes aériennes ».

La motivation première derrière l’accélération de la transition énergétique «  était la protection de l’environnement  », selon l’adjointe au maire de Jytomyr, Svitlana Olchanska. © Sébastien Gobert/Reporterre

La motivation première derrière l’accélération de la transition énergétique «  était la protection de l’environnement  », selon l’adjointe au maire de Jytomyr, Svitlana Olchanska. © Sébastien Gobert/Reporterre

Dans la perspective de résultats rapides, le choix de mini-centrales solaires s’est imposé. « De la conception du projet à la mise en service, cela peut parfois se faire en seulement cinq-six mois », explique Nataliya Kholodova, manager à l’ONG EcoClub et spécialisée dans la mise en place de projets similaires à celui de l’hôpital de Jytomyr. De fait, l’installation de systèmes basés sur le biogaz ou la biomasse n’est pas pertinente ou possible partout. Quant aux éoliennes, la simple obtention d’un permis peut parfois prendre plus d’un an. Un des défis de la pose de panneaux solaires reste néanmoins l’ajout de batteries. Si elles améliorent l’autonomie des mini-centrales même par temps nuageux, elles demeurent onéreuses, hors de portée pour de nombreuses collectivités territoriales.

Une production encore loin d’être verte

Ce mouvement de décentralisation de la production énergétique prend tant d’ampleur qu’une plaisanterie circule parmi les ONG environnementales : « Grâce à la Russie, nous réussissons notre décarbonation bien plus rapidement que prévue », rapporte Anna Ackermann. Et de préciser sans attendre que les destructions, les opérations militaires ou encore les longs détours opérés par les avions de ligne pour éviter l’espace aérien ukrainien ne permettent pas de la prendre au sérieux.

D’autant que, même si les énergies renouvelables sont de plus en plus présentes dans le pays, la production énergétique est loin d’être verte. L’urgence de la guerre pousse à l’utilisation de générateurs diesel ou à l’extension de systèmes au gaz naturel, seule ressource fossile dont l’Ukraine ne manque pas. Et si le gouvernement vient de revoir à la hausse la part de renouvelables qu’il souhaite dans le mix énergétique — de 10 % avant 2022 à 27 % en 2030 —, il ambitionne aussi d’ajouter deux réacteurs nucléaires aux neuf actuellement en opération. A supposer que ce projet onéreux, lent et complexe arrive à terme, il irait à l’encontre du processus de décentralisation de la production énergétique.

À ces défis s’ajoutent des problèmes de pénurie de main d’œuvre qualifiée, de financement ou encore d’approvisionnement en pièces détachées pour moderniser les équipements. Autant de contraintes qui retardent les ambitions de Vasyl Vazlenko, directeur adjoint de l’hôpital à Jytomyr. « Maintenant que j’ai vu ces panneaux solaires en action, j’en veux sur chaque bâtiment de notre hôpital, pour être pleinement indépendant ! », annonce-t-il.

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