RFI: A Kiev, Mikheïl Saakachvili installé dans la rue contre Petro Porochenko

Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, le 27/11/2017

Il y a quatre ans, les premières tentes se dressaient sur le Maïdan, dans le centre de Kiev. La Révolution ukrainienne avait fasciné le monde entier. Elle s’était terminée dans le sang, et a débouché sur une guerre à l’est, mais avec l’espoir de changements profonds pour le pays. Aujourd’hui, beaucoup de ces espoirs ne se sont pas réalisés, le mécontentement grogne. Et c’est un nouveau camp qui se tient cette fois devant le Parlement depuis la mi-octobre.  

En Ukraine, on dirait que les manifestations et protestations de masse ne se tiennent qu’à la mauvaise saison. La révolution orange de 2004 ou le Maïdan de 2014, c’était sous la neige. Mais cette année, le début de l’hiver est doux. Et la contestation, très fragile.

Ce dimanche 19 novembre devant le Parlement est organisée une “Vitche”, un de ces rassemblements hebdomadaires de l’opposition politique. Devant la scène, à peines quelques centaines de manifestants, pour beaucoup des personnes âgées, et des hommes en uniforme.

Au micro, et à la tête de la contestation : Mikheïl Saakachvili, l’ancien président géorgien, ancien gouverneur de la région ukrainienne d’Odessa, et aujourd’hui opposant engagé dans une lutte sans merci contre le Président Petro Porochenko. Il affirme qu’il parle au nom des Ukrainiens, et d’une opposition unie. Mais cette manifestation, c’est avant tout la sienne. Le camp de tentes qui est dressé autour du Parlement, c’est le sien.

A l’origine, une grande manifestation était prévue le 17 octobre, pour pousser les parlementaires à relancer un processus de réformes de plus en plus malmené par les autorités. La mobilisation allait des libéraux aux nationalistes, des bataillons paramilitaires aux militants anti-corruption. Mais ce jour-là, Mikheil Saakachvili et ses soutiens politiques ont lancé leurs propres revendications, notamment la destitution de Porochenko. Ils ont installé leurs tentes, et récupéré le mouvement. Beaucoup des autres opposants se sont alors désolidarisés du Géorgien.

Violeta Moskalu a fait le chemin inverse. Cette Ukrainienne a passé la plupart de sa vie en France et s’est engagée dans la société civile en Ukraine à partir de  2014. Elle vient tout juste de rallier le mouvement de protestation, même si elle ne se dit pas très proche de Mikheil Saakachvili.

Violeta Moskalu: Quelque soit l’opinion que l’Ukrainien lambda puisse avoir de celui qui est à la tête de ce courant, de cette opposition, la seule vraie opposition honnêtement en Ukraine aujourd’hui; qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas… Du point de vue des droits de l’homme, ce qui se passe est plus qu’inquiétant. 

Violeta Moskalu (à droite) au micro sur la scène

Au coeur des revendications du mouvement, une réforme du code électoral, la fin de l’immunité des parlementaires, et la création d’une haute cour anti-corruption. Pour Violeta Moskalu, Petro Porochenko est devenu l’un des principaux acteurs de la corruption en Ukraine.

Violeta Moskalu: Au lieu de lutter contre les politiques les plus corrompus, on lutte contre les activistes qui combattent la corruption ou bien contre les opposants politiques qui dénoncent la corruption. Donc si on laisse aujourd’hui écraser Saakachvili et son équipe, ça veut dire qu’il n’y a pas d’avenir pour la jeunesse en Ukraine. 

Violeta Moskalu: On est très inquiets par le fait que le pouvoir ukrainien va crescendo dans le non-respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales comme la liberté de la presse.

Ce dimanche, l’assemblée est agitée par les nouvelles d’arrestations arbitraires et d’expulsions d’associés de Mikheil Saakachvili. En tout, 8 Géorgiens, dont un journaliste, ont été arrêtés sans sommation entre octobre et novembre, en pleine rue ou dans leur appartement. Certains ont été battus, transportés avec des sacs sur la tête. Tous ont été expulsés vers la Géorgie.

Officiellement, les autorités assurent qu’il s’agissait de prévenir un coup d’Etat. Mais les défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent. Même la médiatrice du Parlement sur les questions des droits de l’homme, Valeria Loutkovska, connue pour sa passivité, qualifie  certaines de ces arrestations d’illégales.

Valeria Loutkosvka: Il a été prouvé que c’est la police nationale qui a kidnappé ces Géorgiens en octobre alors qu’elle n’en avait pas l’autorité. Un mois plus tard , la police n’a toujours  envoyé aucune réponse à mes questions. 

Les autorités restent très évasives sur le sujet. Et de manière générale, elles commentent très peu ce mouvement de protestations, qui est dénigré comme une aventure personnelle de Mikheil Saakachvili. Volodymyr Aryev, député de la majorité présidentielle, considère le camp comme “le signe que la campagne présidentielle de 2019 a commencé”. Il n’a “pas le temps de s’en occuper”, explique-t-il, et se retranche derrière le “travail important” que la majorité accomplit à l’intérieur du Parlement.

Le mécontentement gronde néanmoins aussi depuis l’hémicycle. Sur la scène ce dimanche, on rencontre le député d’opposition Serhiy Leshchenko, ancien journaliste d’investigation. Lui aussi exprime une certaine distance vis-à-vis de Mikheïl Saakachvili. Mais quelque soit le mode de mobilisation, il ne veut pas abandonner la lutte contre le régime de Petro Porochenko.

Serhiy Leshchenko: C’est important de maintenir un camp ici. Ce qu’il faut, c’est mobiliser de plus en plus de gens pour faire pression sur le Parlement. Mais ce n’est pas suffisant pour atteindre nos objectifs.

Les protestataires se gargarisent du fait que les parlementaires ont fait passer une réforme du code électoral en premiere lecture à cause de la pression de la rue. Mais en vérité, pas grand chose ne se passe depuis l’installation du camp. Après 4 ans de guerre et de difficultés économiques, les Ukrainiens sont lassés de cette agitation politique qui n’améliore pas leur quotidien. Les Kiéviens, eux, pestent contre ce camp qui bloque une des rues principales du centre-ville et perturbe la circulation.

Nous retournons dans le village de tente un jour de semaine. Les entrées sont délimitées par des grilles. A l’intérieur, des tentes et une cantine militaires sont disposés dans la rue et le parc avoisinant. Dans les allées, à peine quelques dizaines de personnes, principalement des hommes en uniforme. Le camp n’est pas tenu par des civils, mais par des paramilitaires, vétérans de la guerre à l’est.

 

Semen Semenchenko, député, vétéran, chef du bataillon Donbass, est l’homme en charge du camp.

Semen Semenchko: Tout va bien, nous avons un super moral, une bonne discipline. L’ordre règne sur le camp. Bien sûr que ce n’est pas Maïdan ici, c’est plus la Sitch, la capitale militaire des Cosaques. Pourquoi on aurait besoin d’un nouveau Maïdan? Quatre ans après Maïdan, regardez la situation du pays… 

Pour lui, un camp paramilitaire aux abords du Parlement, ça ne pose pas de problème. L’essentiel, c’est de tenir sa position. Les citoyens se désintéressent de la lutte? Il fera sans eux. Semen Semenchenko a l’air prêt à ce qu’un petit groupe de vétérans bien entraînés soit le fer de lance de la lutte.

Semen Semenchenko: C’est une lutte de longue haleine, mais nous accomplirons nos objectifs. De la même manière que ce que vous les Français avaient fait au 18ème et 19ème siècle. 

Je lui fais remarquer que les Révolutions en France s’étaient faites dans le sang. Le sang a déjà coulé dans la guerre dans l’est, me répond-il. Est-ce qu’il coulera à Kiev? Il ne l’exclue pas.

Semen Semenchenko: Ici? S’il y a une attaque en traître, alors oui, il y aura du sang. Mais on essaiera de l’éviter. On ne fait que se défendre. 

Fin octobre, un des membres de son bataillon Donbass, Bohdan Lezitski confirmait à RFI que les vétérans présents sur le camp étaient venus avec leur stratégie, leur organisation et leur savoir-faire qu’ils ont acquis sur le terrain, dans le Donbass. Il n’y a pas d’armes dans le camp, affirmait-il. Tout en ajoutant que les bons soldats savent toujours où s’en procurer, si le besoin se fait sentir.

Après la fin sanglante de la révolution et des années de guerre, la plupart des commentateurs s’accordent à penser qu’une prochaine protestation de masse pourrait très rapidement devenir radicale et violente. Pour l’instant, la masse n’est pas au rendez-vous, et il est difficile d’imaginer ce que ce camp va devenir. Ce qui est sûr, c’est que c’est la première fois que l’opposition politique reprend le contrôle d’une partie de la rue depuis 2014. Et ce faisant, elle a pris acte que l’esprit de Maïdan n’est plus qu’un souvenir.

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