RFI: Dans les mines du Donbass: “Je suis mineur, mais je vis comme un clochard”
Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, sur RFI, le 05/03/2019. Le reportage a été réalisé avec le soutien du magazine Hesamag, de l’ETUI (European Trade Union Institute). Photo: Sadak Souici.
La région du Donbass dans l’est de l’Ukraine est un bassin minier très important. C’est l’un des anciens coeurs du complexe industriel de l’URSS, qui connaît un déclin irrémédiable depuis une trentaine d’année. La guerre qui a éclaté en 2014 a empiré la situation. Plus de 13000 personnes ont déjà perdu la vie dans les combats qui continuent. Les mines de charbon du pays sont parmi les plus dangereuses au monde. Il est de moins en moins rentable de creuser toujours plus profond. Alors les mines sont négligées par les autorités centrales à Kiev, et les mineurs le ressentent de plein fouet. Des dizaines d’entre eux viennent de passer plus d’une semaine sous terre, pour protester contre la dégradation de leurs situations – et leur impayés de salaires. A NOVOGRODIVSKA, Sébastien Gobert
Au poste médical, une infirmière vérifie la tension des 4 camarades, l’un après l’autre. Ils viennent de passer trois jours à 700 mètres sous terre, dans la mine numéro 1 de Novogrodivska. Ils sont encore hébétés après avoir regagné la surface. Mais Richard Kalouhin n’est pas convaincu que tous ces efforts aient été utiles. Il ne retient pas ses larmes.
Richard Kalouhin: Ma fille a eu deux ans hier. J’ai manqué son anniversaire parce que j’étais sous la terre. De toutes les manières, je n’ai pas un kopeck pour lui offrir un cadeau.
Richard Kalouhin et ses collègues n’ont pas reçu leurs salaires depuis trois mois.
Richard Kalouhin: J’avais choisi cette profession de mineur, très difficile, pour gagner ma vie avec dignité. Mais en fait, je vis comme un clochard.
Si les quatre camarades sont remontés à la surface ce 20 février, c’est sur injonction d’un docteur. Ils leur a diagnostiqué de l’hyper-tension après trois jours au fond de la mine. Le mineur Anatoliy Iefseyev.
Anatoliy Iefseyev: On ne peut pas dormir convenablement. A 700 mètres sous terre, l’atmosphère est vraiment différente. Il fait très chaud, on se sent vite mal à l’aise. On peut juste somnoler pendant deux, trois heures d’affilée, et c’est tout. Au bout d’un moment, on a des vapeurs, des vertiges… c’est très dur.
Ils ont laissé une quarantaine de leurs collègues dans les profondeurs. Serhiy Pavlov est le représentant local du syndicat indépendant des mineurs d’Ukraine, coordinateur de la grève.
Serhiy Pavlov: Les mineurs sont prêts à sacrifier leur santé pour obtenir ce qui leur revient de droit, c’est-à-dire leur salaire.
Pour les employés des mines d’Etat, le salaire moyen s’élevait avant à plus de 1000 euros Après une dévaluation dramatique en 2014, il est aujourd’hui d’environ 400 euros, ce qui suffit à peine pour vivre en temps normal. Ces trois mois d’impayés ont rendu la vie impossible aux mineurs. En cause, une politique illisible de la régie autonome qui administre la mine, “Selydivuhylia”. Serhiy Pavlov.
Serhiy Pavlov: Depuis que nous sommes gérés par cette structure commerciale, ça ne marche pas, pour des raisons obscures. La direction ne nous paie pas nos salaires de manière régulière. Ils ont des dettes dans toutes les mines qu’ils administrent. C’est à notre mine qu’ils doivent le plus d’argent.
La régie et le ministère se rejettent la responsabilité de ces dysfonctionnements. La paralysie qui s’ensuit ne règle pas les problèmes des mineurs. De manière plus générale, ils protestent contre la dévalorisation de leur métier, autrefois l’un des plus glorifiés en Union soviétique. Le syndicaliste Serhiy Pavlov.
Serhiy Pavlov 3Les gens sont épuisés, parce que la situation s’éternise. J’en suis à ma quatrième grève de la faim. Avec Oleksandr qui vient de sortir de la mine, nous avons jeuné ensemble à Kiev l’an dernier. A l’époque, on nous avait lâché des kopecks, pour calmer la colère. Mais ce n’était pas une solution structurelle.
En février 2018, les grévistes avaient obtenu une réunion d’urgence avec le ministre de l’énergie, Ihor Nasalyk, à Kiev. Il avait alors prétendu résoudre le problème en s’impliquant personnellement, comme il l’avait déclaré fin février 2018.
Ihor Nasalyk: Je vais aller diriger Selydivuhylia moi-même. Trois semaines suffiront pour montrer aux gens là-bas comment il faut faire.
Mais un an plus tard, la situation n’a pas changé. Et Cette fois-ci, le ministre ne s’est pas exprimé sur la grève à la mine numéro 1 de Novogrodivska.
A cause de la guerre qui déchire la région, les mines d’anthracite, charbon de meilleure qualité, sont restées sous contrôle des forces pro-russes et russes. Les mines vieilles et délabrées qui sont restées en territoire ukrainien ne sont pas au coeur de la stratégie énergétique du gouvernement. Pour le gréviste Oleksandr Khrytskiy, c’est une absurdité criminelle.
Oleksandr Khrytskiy: C’est d’autant plus frustrant que nous savons que la mine peut produire plus d’un million de tonnes de charbon par an. Nous avons trouvé une veine de charbon il y a trois ans. C’est plus qu’il n’en faut pour nourrir nos familles et pourvoir aux besoins d’une partie de la région. Mais la veine n’est pas exploitée. Ca ne les intéresse pas, à Kiev.
Finalement, la grève s’est terminée le 28 février avec le paiement des arriérés de salaire. Mais seuls 80% des impayés ont été versés, et il a fallu en déduire des reliquats d’impôts. Et les mineurs n’ont pas touché grand-chose. Lyoubov Frolova est une employée de l’administration.
Lyoubov Frolova: Ce n’est vraiment pas évident. Mon fils a 13 ans, et il a besoin de beaucoup de choses, pour aller à l’école, et ainsi de suite. J’essaie de répondre à ses demandes, mais c’est dur. La grand-même vit avec nous et nous aide un peu. Mais ça ne suffit pas.
La question se pose alors: pourquoi continuer à travailler à la mine dans une situation aussi instable?
Lyoubov Frolova: Et où je pourrais aller? Il n’y a que ça ici. Dans la région, on dit que l’espoir meurt en dernier. Alors j’espère. J’espère que la mine va fonctionner de nouveau normalement, comme c’était le cas quand j’ai commencé ma carrière ici.
Au plus fort de son activité, la mine employait 3100 personnes. Aujourd’hui, il n’en reste que 2300. Chaque mois, entre 40 et 50 personnes posent leur démission. Pour Inna Hokholik, c’est l’avenir même de la région qui est en jeu.
Inna Hokholik: A part la mine ici, il n’y a aucune activité économique. Beaucoup de gens partent chaque mois pour travailler ailleurs, par exemple en Pologne. Et si la mine ferme, notre ville va simplement mourir. Il ne va rien rester ici.
Dans l’immédiat, les mineurs ont obtenu partiellement gain de cause, et concentrent leurs espoirs sur les élections: présidentielle en mars, et législatives en octobre. Ces scrutins peuvent amener au pouvoir des personnes responsables et honnêtes, pensent-ils. Des personnes avec un plan de reprise de l’activité, ou en tout cas, des réponses claires à la crise existentielle des mineurs du Donbass.