RFI: La tchernozem d’Ukraine bientôt en vente

Reportage diffusé dans l’émission Eco d’Ici, Eco d’Ailleurs, sur RFI, le 30/11/2019

On connaît l’Ukraine comme le grenier à blé de l’URSS, si ce n’est de l’Europe. Mais depuis 2001 et l’imposition d’un moratoire temporaire, l’Ukraine est un des 6 pays au monde à ne pas avoir de marché foncier. On ne peut ni acheter, ni vendre de lopin de terre. Le système de baux terriens en place est opaque, encourage la corruption et favorise les grandes agro-holdings… Tout cela est sur le point de changer. La majorité parlementaire de Volodymyr Zelenskyy, un acteur élu président en avril dernier, a voté en première lecture le 13 novembre la levée du moratoire sur le négoce des terres. C’est un pas historique, qui pourrait générer 2% de points de PIB par an, selon la Banque Mondiale. Mais cette décision ne va pas sans controverse… Il faut dire que le tchernozem, la terre noire d’Ukraine, est l’une des principales richesses du pays. Sébastien Gobert à Kiev

240 voix pour: c’est dans une ambiance électrique que les députés ukrainiens ont voté le 13 novembre pour abolir le moratoire sur la vente des terres, décrié comme un anachronisme imposé jadis par le parti communiste. C’est un marché d’au moins 32 millions d’hectares de terres arables qui devrait ouvrir en octobre 2020.

Pour l’économiste Timothy Ash, joint par Skype, c’est une révolution.

Timothy Ash: Cela pourrait initier la transformation de l’agriculture, des sociétés rurales, mais aussi des finances publiques. Imaginez si l’Etat reçoit des dizaines de millions de dollars de la vente des terres. Le potentiel est fantastique, à condition que le contenu de la loi soit pertinent.

En Ukraine, ils sont nombreux à considérer que la loi n’est pas bonne pour le pays, et qu’elle est en fait un nouveau diktat du FMI. Pendant que les députés votaient, des centaines de manifestants avaient amené un cochon mort dans un cercueil devant le Parlement. Le symbole était clair: la vente des terres signifie la fin de l’agriculture ukrainienne.

Dans l’hémicycle, l’opposition donnait aussi de la voix, comme l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko.

Ioulia Tymochenko: Vendre la terre, ce serait donner le contrôle de l’Ukraine à de grandes et puissantes corporations transnationales. On nous dit qu’ils font du bon travail pour réformer l’Ukraine. Mais alors qui sommes-nous, les Ukrainiens? Des esclaves qui ne sont ici que pour servir les oligarques et les étrangers?

Une majorité d’Ukrainiens ne souhaite pas l’ouverture du marché de la terre, selon plusieurs sondages. On regrette le manque d’aide aux petits fermiers, ou encore la superficie de terrain qu’un individu peut acquérir. Selon le projet de loi, c’est 200.000 hectares, 100 fois plus que ce qui est autorisé en France. Beaucoup redoutent donc une concentration de la terre dans les mains des plus riches.

Ces critiques sont exacerbées par des campagnes de désinformation. Aussi le président Volodymyr Zelenskyy s’efforce-t-il de calmer les passions dans une de ses vidéos-selfie. Il promet d’aider les agriculteurs les plus modestes, et de s’en remettre au peuple pour une question fondamentale.

Volodymyr Zelenskyy: C’est seulement à travers un référendum que nous déciderons si les étrangers peuvent acheter de la terre ukrainienne. Nous avions promis de consulter la société par référendum sur les questions les plus sensibles.

Volodymyr Zelenskyy ne prend pas position sur la question, mais cette réforme lui créée des problèmes. Son taux de soutien a chuté de 73% en septembre à 52% en novembre. Au pouvoir depuis moins de six mois, c’est bien sur cette question historique pour un pays de grande tradition agraire que le président joue une grande partie de son mandat.

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