RFI: Petro Porochenko, candidat à sa propre réélection

Version longue d’un papier diffusé dans le journal de 16h, sur RFI, le 29/01/2019

En Ukraine, 5 ans après la révolution de Maïdan, et alors que la guerre dans l’est fait toujours rage, la campagne présidentielle prend forme. Le scrutin se tient le 31 mars prochain, et plus de 20 candidats sont déjà inscrits. Aujourd’hui, c’est le président en exercice, Petro Porochenko, qui a annoncé sa candidature à sa réélection. L’évènement n’est pas une surprise: l’équipe du Président a couvert le pays d’affiches électorales depuis la fin de l’été 2018, pour afficher son slogan “Armée! Foi! Langue!” Petro Porochenko joue pourtant gros dans cette campagne: il est loin d’être le favori des sondages. A Kiev, Sébastien Gobert

“En 2019, c’est soit Petro Porochenko qui gagne en Ukraine, soit Vladimir Poutine!” Le message de la vidéo promotionnelle au congrès du parti Solidarité était clair. Le chef de l’Etat est le candidat de la stabilité, des réformes structurelles, de la souveraineté nationale face à l’agression de la Russie, et du retour des territoires occupés de Crimée et de l’est du pays. C’est un “sentiment d’une profonde responsabilité vis-à-vis de l’Ukraine, ses générations passées et futures”, qui l’aurait décidé à briguer un second mandat.

Petro Porochenko a choisi la date symbolique du 29 janvier, qui commémore la bataille de Krouty en 1918. 400 Ukrainiens, en majorité des étudiants, y avaient tenté d’arrêter la progression des bolcheviques sur Kiev. Sous le titre “De Krouty à Bruxelles”, le Président a donc parlé de guerre, et de paix. “Il nous faut faire la paix avec la Russie, mais une paix froide”, a-t-il asséné en promettant de déposer une demande l’adhésion de son pays à l’Union européenne en 2024. Une promesse qu’il avait toutefois déjà annoncé lors de sa première campagne électorale. A l’époque, l’Ukraine devait déposer sa candidature en 2020.

Ce n’est pas la seule promesse non-tenue pour laquelle Petro Porochenko est critiqué. Dans la ligne de mire, ses insuffisances dans la lutte contre la corruption et l’oligarchie, et dans l’instauration d’un système judiciaire indépendant et efficace. Des défenseurs des droits de l’homme étaient d’ailleurs rassemblés aux abords du centre international d’expositions à Kiev, où se tenait le congrès. Ils y tenaient des banderoles exigeant des résultats dans l’enquête sur le meurtre de Kateryna Handziouk.

L’exécutif ukrainien est aussi fortement tenu responsable d’une augmentation inédite des prix de l’énergie. Celle-ci a beau être requise par le FMI et justifiée par les prix du marché, elle est aussi due à des formules opaques des réseaux d’importation et de distributions qui profitent à certains oligarques. C’est l’une des attaques de prédilection de ses opposants, notamment l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko, actuelle favorite des sondages. Les jeux sont loin d’être joués, mais une éventuelle victoire de Petro Porochenko sera certainement moins consensuelle qu’en 2014. Il avait à l’époque remporté l’élection dès le premier tour, avec 54,7% des voix.

Il n’empêche que le président peut se prévaloir du bilan des actions qu’il a initié ou encadré pendant son mandat: consolidation des forces armées, application de l’accord d’association avec l’Union européenne et libéralisation du régime de visa Schengen pour les citoyens ukrainiens, épuration du système bancaire, assainissement des finances publiques, ou encore le lancement de réformes structurelles dans le secteur de la santé publique, de l’éducation, ou de la décentralisation. L’octroi de l’autocéphalie, c’est-à-dire l’indépendance, à une Eglise orthodoxe d’Ukraine, est aussi présenté comme l’une de ses réalisations historiques. Le Métropolite Epiphane était d’ailleurs présent au congrès.

Le soutien du premier ministre Volodymyr Hroissman, véritable parrain de la réforme de la décentralisation, est crucial. Le chef de gouvernement avait fait mine de se dissocier du Président en 2018. Il était pourtant à ses côtés ce 29 janvier, de même que l’ensemble du gouvernement. Andriy Paroubiy, Président du Parlement, s’est aussi exprimé en faveur de la candidature du chef de l’Etat, signalant ainsi le soutien de son parti “Narodniy Front – Front Populaire”, et des dirigeants des organes de sécurité, le ministre de l’intérieur Arsen Avakov et du secrétaire du conseil national de défense et de sécurité Oleksandr Tourtchinov. Par extension, on peut devenir que le chef du Narodniy Front, l’ancien Premier ministre Arseniy Iatseniouk, absent du congrès, ne s’oppose pas à la candidature de Petro Porochenko.

Aussi absent ce 29 janvier, le maire Vitaliy Klitschko a enregistré un message de soutien depuis son hôpital de Vienne, où il se remet d’une opération. Les internautes ont été prompts à remarquer que Vienne est le domicile de Dmytro Firtash, en cours de jugement. L’oligarque aurait apporté son soutien à Petro Porochenko lors de la campagne de 2014, en orchestrant l’alliance entre le candidat et Vitaliy Klitschko. La rumeur n’a jamais été prouvée. Elle n’en reste pas moins pertinente dans la mesure où elle joue sur l’appréciation publique du Président-candidat. De même, les manigances, les élucubrations et les élucubrations du Procureur général Iouriy Loutsenko sont perçues par beaucoup comme des taches sur la réputation du Président. Présent sur scène, Iouriy Loutsenko a commencé son discours en expliquant que son poste de haut fonctionnaire l’empêchait de se prononcer en faveur d’un candidat quelconque. Avant de soutenir la politique de Petro Porochenko.

Petro Porochenko ne dispose peut-être pas du soutien d’une majorité d’électeurs à l’heure actuelle, mais il bénéficie de l’appui de poids lourds de la politique ukrainienne, alignés derrière lui ce 29 janvier, en ordre de bataille.

Previous
Previous

RFI: Intronisation du primat de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine

Next
Next

Ouest France: Viktor Ianoukovitch condamné à 13 ans de prison – par contumace