RFI: Révolution des services administratifs en Ukraine

Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, sur RFI, le 05/12/2017

4 ans après la révolution de l’Euromaïdan, l’heure est au pessimisme en Ukraine. Les réformes stagnent, et la lutte contre la corruption a du plomb dans l’aile. Pourtant, le pays a connu des transformations spectaculaires ces dernières années. Les services de délivrance de permis de conduire ou d’enregistrement de voiture, par exemple, ont subi une révolution. 

Passé les portes automatiques, on se dirige vers une borne pour y prendre un numéro, puis on attend son tour, assis dans  un fauteuil confortable. Le moment venu, on se dirige à un bureau où un fonctionnaire traite notre demande. La scène n’a rien d’extraordinaire, et chaque Européen y est habitué. Mais en Ukraine, cette démarche est l’un des signes que le pays entre dans le 21ème siècle, et se libère de son héritage soviétique.

Oleksandra Darouga travaille au développement de ces centres administratifs au sein du ministère de l’intérieur.

Oleksandra Daruga: Il y a deux ans, ce genre d’endroit était inconcevable. Les gens devaient se rendre dans des vieux bâtiments administratifs, parcourus de couloirs sombres. Ils étaient renvoyés d’un bureau à un autre, sans rencontrer un employé qui puisse prendre en compte leur demande. Il n’y avait aucun accès à l’information. On pouvait appeler 20 numéros différents pendant la journée pour obtenir un simplerenseignement.

Désormais, il est possible de contacter le centre d’appel, de consulter un site Internet et les  pages des réseaux sociaux, il y a  même des employés qui répondent aux questions posées directement sur la page Facebook.

Grâce à des financements internationaux, ce plan de réforme des centres administratifs est ambitieux, et rapide. Inga Vyshnevska est la directrice des communications de ce département.

Inga Vyshnevska: Nous avons ouvert le premier centre de ce nouveau genreà l’été 2016. Puis une trentaine en un an, et en ce moment, nous avons une inauguration chaque semaine. 

Il y a déjà un peu plus de 150 centres à travers le pays. Ici, on peut réaliser toutes procédures administratives que le ministère de l’intérieur prend en charge. Retirer son permis de conduire, déclarer un changement de résidence, obtenir un extrait de casier judiciaire. Oleksandr Horbonos est le directeur de ce centre au nord de Kiev.

Oleksandr Horbonos: Ce nouveau centre a changé pas mal de choses. Par exemple, le service qui prend le plus de temps, c’est l’enregistrement de véhicules utilitaires. Désormais cela prend 2 heures au maximum. L’attente est  comptabilisée de manière électronique,  chacun a un numéro d’appel,donc les gens n’ont pas besoin d’attendre debout. Si on compare aux files d’attente interminables qu’il y avait auparavant, c’est une avancée considérable.

Le ministère a développé une stratégie de proximité inédite en Ukraine. Les usagers ne sont plus attachés à un centre régional, et peuvent effectuer leurs démarches dans n’importe quel guichet du pays. Un déplacement d’autant moins contraignant que le centre de Kiev est adossé à un vaste centre commercial, ce qui permet aux usagers de prendre leur numéro, et d’aller faire leurs courses en attendant leur tour. Inga Viyshnveska.

Inga Vyshnevska: Nous avons eu une situation cocasse quand nous avons ouvert ce centre. Il est très vite devenu populaire, juste à côté du grand magasin. Trois jours après, un autre centre commercial nous a proposé d’ouvrir un nouveau centre chez eux! Malheureusement, nous n’avons pas autant de centres que de magasins à ouvrir à Kiev.

Dans certains de ces centres, on trouve des livres en libre-service, ou encore des aires de jeux pour les enfants. Inga Vyshnevska explique que, dans certaines zones rurales, les centres administratifs sont les endroits les plus propres, les plus accueillants de la ville. Certaines familles viennent y passer du temps le weekend pour y faire jouer leurs enfants.

Une autre révolution, c’est l’ouverture et la transparence de ces centres. Fini, les bureaux fermés où des permis de conduire se négociaient à coup de pots de vin/d’enveloppes sous la table. Toutes les démarches s’effectuent désormais en open space, ce qui réduit fortement le risque de corruption. Le directeur du département des services administratifs, en charge de la réforme, Vladislav Krylkii, assure qu’il compte aller plus loin.

Vladislav Kryklii: Auparavant, certaines plaques d’immatriculation étaient vendues de manière informelle. Notre nouveau projet de loi prévoit un système en ligne, où les usagers peuvent commander des plaques à l’avance, et les payer en ligne. Cela va réduire le potentiel de corruption.

Un tel enthousiasme détonne, dans un contexte morose. La corruption reste endémique en Ukraine, en particulier au plus haut niveau de l’Etat. Beaucoup de réformes sont bloquées au Parlement. Vladislav Kryklii se dit conscient de ces difficultés. Mais lui voit aussi des résistances de la part des citoyens eux-mêmes, qui sont habitués à régler certains problèmes en payant un contact.

Vladislav Kryklii: Je reçois de nombreux messages, même de mes amis, qui me demandent de les aider pour obtenir tel service. Je leur dis: “Essayez d’abord de comprendre le système par vous-même!” Il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas croire que le système peut être changé. 

Pour Oleksandra Darouga, c’est aussi le signe que la réforme des centres administratifs a été rapide, et que peu d’Ukrainiens sont familiarisés avec ces changements.

Oleksandra Daruga: La police de la route, on la voit tous les jours dans la rue. Mais ces centres, les gens ne les connaissent pas tous. Mais ils doivent automatiquement se rendre ici à un moment donné, puisque ces services ne sont assurés que par l’Etat. 800.000 personnes font ces démarches administratives chaque année, donc ils passeront ici à un moment donné.

Ces centres administratifs ne résolvent pas à eux seuls le marasme dans lequel l’Ukraine s’enfonce, 4 ans après la Révolution de la Dignité. Mais ils font partie de ces transformations structurelles qui affectent le quotidien des Ukrainiens, et auront un impact sur les futures générations. Peut-être qu’elles n’auront toujours pas le sentiment de vivre dans un pays européen, comme les révolutionnaires de 2014 le souhaitaient. Mais au moins, les Ukrainiens de demain auront de moins en moins l’impression de vivre dans un pays post-soviétique.

Ecouter le reportage ici

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