Regard sur l’Est: En Ukraine, une lente mais nécessaire prise de conscience écologique

Après le désastre de Tchernobyl, il semble impossible d'associer l'idée d'écologie à l'Ukraine. Pourtant, les enjeux qui y sont liés sont fondamentaux, pour les Ukrainiens comme pour leurs voisins. Et le mot d'ordre de la protection de l'environnement commence depuis peu à s'imposer dans le débat public. 

L’Ukraine semble ne pas pouvoir se débarrasser de certains clichés pesants: industries lourdes et polluantes, résidus persistants d’un système soviétique sclérosé, politique environnementale et sanitaire quasi-inexistante ou encore blocages politiques dans un pays en proie à de féroces luttes de pouvoir. A tel point que la Roumanie, qui ne passe pourtant pas pour une championne en la matière, a pu mener en 2007 une importante campagne de diffamation contre son voisin, accusé de nuire à la biodiversité et à la qualité de l'eau dans le delta du Danube, et lui demander des réparations.

Cette réputation se révèle bien embarrassante pour le deuxième Etat le plus grand d’Europe, après la Russie (603.700 km²). Des montagnes Carpates aux sables de Crimée, des immenses forêts du Nord aux steppes fertiles du centre du pays, l’ancien «grenier à blé de l’Europe» recèle pourtant une grande diversité biologique. La faible densité de population (77 hab/km² en moyenne contre 110 en France) aide à la préservation de vastes espaces inhabités. L’Ukraine compte ainsi une quarantaine de réserves naturelles et parcs nationaux.

Selon l’étude du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) de juin 2007, la pollution près des grands centres industriels serait cause d'un nombre bien plus élevé de décès et de malformations chez les nouveaux nés que dans les autres pays européens[1]. Dix-neuf des vingt-quatre oblast (divisions administratives) du pays ne peuvent assurer l’approvisionnement en eau potable à leurs habitants. La pollution met aussi en grave danger la biodiversité. Alors que les Ukrainiens sont parmi les plus gros consommateurs d’énergie en Europe (environ le double des Allemands), 40 à 45% de leur électricité est encore produite par des centrales thermoélectriques à énergies fossiles, qui contribuent fortement à l’effet de serre. Malgré la catastrophe de 1986, environ 47% de l’énergie est toujours fournie par les quinze centrales nucléaires en activité, dont certaines sont jugées défectueuses par les experts internationaux.
Cette étude exhaustive souligne de même l’absence de culture écologique dans la conduite des politiques publiques. Ce qui se traduit entre autres par un manque d’expertise et d’évaluation des problèmes à résoudre. L’étude onusienne a d'ailleurs été la plus complète parue depuis 1998.

Le choc de Tchernobyl

Le choc de 1986 fut à la base d’une prise de conscience environnementale globale. Aujourd’hui encore, le site de l’explosion de la centrale de Tchernobyl concentre l’attention et les moyens des autorités mais aussi de la communauté internationale. De 70.000 à 200.000 tonnes de fuel radioactif reposeraient sous le dôme qui entoure l’ancienne centrale. Devant les menaces de fissures, on a commencé en 2006 à construire un nouveau système de confinement, «l’arche de Tchernobyl». Les travaux sont prévus jusqu’en 2010 et financés en majeure partie par les pays du G8.

Les conséquences humaines de l’explosion se font encore sentir, principalement en Ukraine et en Biélorussie. Hormis les décès directement liés aux conséquences du sinistre, 5 millions de personnes vivent encore dans l’espace contaminé. De multiples cancers et des malformations chez les nouveaux nés seraient liés à la contamination radioactive. Cette situation requiert aujourd'hui encore l'attention des gouvernements, associations et organisations internationales. Malgré leurs interventions volontaristes, la catastrophe a aussi engendré un certain fatalisme au sein de la population. Ainsi peut-on souvent entendre: «Après Tchernobyl, il ne peut rien arriver de pire...». Alors pourquoi agir pour l'environnement? D'autant que, libres de toute ingérence humaine, les 2.800 km² de la zone d’aliénation autour de l’ancienne centrale sont devenus un paradis écologique unique.

Tchernobyl symbolise le début de la réflexion écologique en Ukraine. C’est à partir de ce désastre que les pouvoirs publics ont pris en compte l’environnement et la santé dans l’élaboration de leurs politiques. Une société civile s’est aussi développée, à travers les conférences et débats sur ce sujet. Les associations antinucléaires, dont certaines bénéficient d'un soutien occidental, sont aujourd’hui les plus nombreuses et les mieux organisées dans le panel des ONG environnementales ukrainiennes. On peut citer la Voix de la Nature, InterEco, EcoClub, Green World ou encore Bakhmat. Ainsi étaient-elles plus de cent à participer à la conférence «20 ans après le désastre de Tchernobyl: prévoir le futur» qui s’est tenue en avril 2006.

L’écologie à l’ordre du jour

Dès l’indépendance en 1991, le système juridique a prôné la protection de l’environnement et de la santé. On a ainsi observé une profusion de textes traitant de l’eau, de l’air, des économies d’énergie ou de la gestion des déchets radioactifs. Malgré une activité législative assez faible depuis 1995, seules quelques initiatives concernant la faune ou la gestion des terres ayant été ajoutées aux mesures initiales, le Pnud considère l’arsenal juridique comme complet. Les ministères successifs en charge de l’Environnement tentent depuis des années de mettre en œuvre ces mesures et de sensibiliser les populations, par exemple en organisant des conférences sur des sites très pollués ou en essayant de promouvoir le principe du «pollueur-payeur».

Cet engagement semble être relayé au plus haut sommet de l’Etat. Le président V.Iouchtchenko rappelle régulièrement ses convictions. Ainsi déclarait-il en août 2008 son intérêt pour les forêts ukrainiennes, «richesse de la nation». De même, à la tribune de l’Assemblée plénière des Nations unies en septembre 2008, où il a renouvelé son appel à une «action globale plus active dans la sphère de l’écologie».
Y répond le dynamisme de la société civile. La Ligue ukrainienne de l’écologie a ainsi présenté en 2006 la première encyclopédie écologique d’Ukraine, avec pour buts une éducation des citoyens et une évaluation des problèmes contemporains. Face à l’insuffisance des actions publiques, certaines de ces organisations initient aussi des projets concrets et déterminés. Sur une idée d’habitants de Kiev, l’ONG MAMA-86 a ainsi organisé le premier système de recyclage de déchets de la ville en 2006. Ceux-ci étant rémunérés au poids, on assiste donc depuis 2006 à une course, principalement entre adolescents et retraités, pour approvisionner les quelques 350 points de collecte de la capitale.

Un contexte international porteur 

La «fibre écologique» est aussi pour l’Ukraine un moyen d’intégration à la communauté internationale. Elle entraîne en effet prises de contact, échanges d’informations et de techniques ou encore investissements. Les Etats-Unis furent ainsi le plus important avocat de la sécurité nucléaire en Ukraine jusqu’en 1995. L’UE a repris le flambeau par la suite, en poussant à la fermeture définitive de la centrale de Tchernobyl, obtenue en 2000.

Le pays semble aussi tirer son épingle du jeu des permis d’émission instaurés par le protocole de Kyoto. Compte tenu du poids du charbon dans la production d'énergie, il est effet commode de le remplacer par les sources nucléaires, libérant ainsi des droits d'émission qui peuvent être revendus à d'autres pays. Taras Bebeshko, de l’Agence pour l’investissement écologique en Ukraine, a ainsi récemment annoncé que son pays, conjointement avec la Russie, mettrait bientôt pour 89 milliards de dollars de permis sur le marché. Sans devenir les meilleurs élèves de Kyoto, les Ukrainiens obtiennent ainsi un poids fondamental dans la lutte contre les gaz à effet de serre.

L’Union européenne, où la protection de l’environnement a été érigée en stricte priorité, est un acteur majeur de cette intégration internationale, et ce à plusieurs niveaux. La Commission européenne finance, notamment à travers l’Euroregion Bug (Pologne-Ukraine-Biélorussie), de multiples initiatives. Par ailleurs, l’Ukraine s’est associée en 2006 aux Pays-Bas dans un programme de protection de la biodiversité et d’aménagement de «corridors écologiques». Ces actions communes, conduites avec le Canada, les Etats-Unis, la Finlande ou encore la Suisse, sont vues comme un moyen d’ancrage à l’Occident, loin des pressions du «grand frère» russe.

Des pesanteurs embarrassantes

Le sujet écologique s’impose donc de plus en plus dans la vie publique ukrainienne. Avec peu d’effets jusqu'à présent. La culture écologique dans les politiques publiques, qui consiste à intégrer la protection de l’environnement dans les différentes politiques sectorielles, demeure un vœu pieux. S’y ajoutent les fardeaux de l’héritage soviétique, des blocages politiques, des rivalités régionales ou encore de la corruption rampante. L’ex-Premier ministre V.Ianoukovitch avait par exemple proposé pendant la campagne électorale de 2004 de forcer les entreprises polluantes à reverser une partie de leurs bénéfices pour assurer l’entretien de leur lieu d'implantation. La tourmente de la révolution orange a enterré l’idée...

Mais les nécessités du développement économique sont là, qui se passent aisément de considérations écologiques. Les préparatifs de l’Euro 2012 illustrent clairement cette réalité. L’hebdomadaire Le Jour s’inquiétait récemment des dégâts causés à l’environnement et des conséquences pour l’Ukraine de l'après-2012. Les dernières déclarations de Michel Platini, menaçant de retirer l’organisation des jeux à l’Ukraine, ne devraient pas aider à prendre le temps d’inclure l’écologie dans les travaux en cours.

Les enjeux de l’écologie en Ukraine appellent ainsi à un renforcement des débats et initiatives, de manière assez urgente. La devise nationale déclare: «La gloire de l’Ukraine n’a pas encore péri, pas plus que sa liberté». Reste à savoir si son environnement leur survivra.

[1] Rapport du Pnud, «National Environmental Policy of Ukraine», 14 juin 2007.

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