Une force de maintien de la paix: les Européens plutôt que l’Otan?
Le Premier ministre Keith Starmer était à Kyiv aujourd’hui 16 janvier
pour y signer un accord de partenariat avec l’Ukraine qui doit être valable pendant 100 ans
Mais aussi pour parler du déploiement éventuel de troupes britanniques et européennes en général comme une force de maintien de la paix.
Mais ça servirait à quoi, une force de maintien de la paix?
Combien de troupes faudrait-il, pour combien de temps avec à quel coût?
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on discute de cet espèce de serpent de mer de l’envoi de troupes étrangères
qui commence à ressembler à un projet
mais dont les contours sont loin, très loin, d’être clairement identifiables.
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Donc ce matin, Keith Starmer est arrivé à Kyiv pour y signer cet accord de partenariat.
Pour la petite histoire, un drone russe a survolé le palais de Marinskiy, résidence d’Etat ukrainienne
pendant que Keith Starmer et Volodymyr Zelensky s’y trouvaient
ce qui représente une nouvelle percée des projectiles russes dans le centre de la capitale Kyiv.
On a de plus en plus de drones et de missiles qui s’approchent du quartier gouvernemental
ce qui est évidemment un mauvais signe quant à la qualité des défenses anti-aériennes ukrainiennes
Mais bon, je reviens à cet accord de partenariat
Il y a dix points principaux,
renforcer les capacités de défense de l’Ukraine
faciliter son adhésion à l’Otan
coopérer dans les domaines de la sécurité maritime, du commerce, de l’énergie, de la justice, de la culture, de la science ou encore du contrôle des migrations.
Il ne s’agit donc pas d’un accord de sécurité stricto sensu, et il ne comporte pas de clause d’assistance mutuelle en cas d’agression,
et puis il faudra le comparer à l’accord stratégique que doivent signer la Russie et l’Iran demain 17 janvier, et qui aura peut-être une portée bien plus vaste,
mais cet accord ukraino-britannique marque une nouvelle étape dans le rapprochement stratégique entre Kyiv et Londres
les deux étant les deux bouts d’un arc de coopération renforcée incluant les Pays-Bas, les pays nordiques et dans une certaine mesure la Pologne.
On parle de plus en plus souvent de la formation d’une sorte d’alliance entre ces pays afin d’offrir à l’Ukraine et aux Etats baltes des garanties de sécurité
que peut-être l’Otan ne sera pas en mesure d’apporter si elle est trop malmenée et décrédibilisée par Donald Trump.
On n’y est pas encore, mais en tous les cas l’Allemagne et la France ne sont pas compris dans cette ébauche de projet.
La France, qui offre une assistance structurelle à l’Ukraine très solide et de très haute qualité,
mais qui manque d’une vision stratégique claire dans la région
Emmanuel Macron a tenté de prendre la tête d’un mouvement européen de construction d’une défense continentale autonome
mais il est comme on le sait tous aux prises avec ses crises politiques et budgétaires
et même au-delà, le président français ne s’est rendu à Kyiv qu’une seule fois depuis 2022.
Même Olaf Scholz est venu deux fois
et la, bon, je trolle un peu mais c’est quand même un signe qui ne trompe pas quant à la sincérité de l’engagement politique.
Cela dit, comme je l’ai dit l’assistance structurelle de la France n’est pas remise en cause,
et elle est visiblement impliquée dans le projet d’envoyer des troupes européennes en Ukraine.
Donc, pas des troupes combattantes comme l’avait évoqué Emmanuel Macron, presque comme une provocation à l’époque,
mais des forces de maintien de la paix.
Donc dans le cas d’un cessez-le-feu
Keith Starmer a évoqué le sujet aujourd’hui à Kyiv, la Grande-Bretagne, de concert avec la France, est à la pointe d’un petit groupe de pays pour étudier les modalités
Ce qu’il faut voir c’est que le sujet a été sérieusement activé juste après la rencontre entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron en marge de la réouverture de Notre-Dame, le 7 décembre.
Visiblement, l’Américain aurait fait comprendre aux deux autres que les Européens doivent prendre en charge le maintien du cessez-le-feu.
Il n’y aura pas sauf grande surprise, de troupes américaines en Ukraine.
Donc à partir de là, on a senti une activité dans les chancelleries,
Emmanuel Macron s’est rendu à Varsovie pour en parler avec Donald Tusk, ui n’est pas très partant,
mais d’autres pays comme la Lituanie, l’Allemagne ou la République tchèque ont déjà fait savoir qu’ils pourraient se greffer à l’initiative.
il y a trois scénarios qui sont actuellement discutés selon le quotidien britannique The Telegraph
Premier scénario: un déploiement d’une force de maintien de la paix sur l’ensemble des 1300 kilomètres de la ligne de front
Deuxième scénario: que des forces étrangères prennent en charge la défense de Kyiv en cas d’attaque de la capitale, afin de libérer des brigades ukrainiennes pour défendre d’autres fronts.
Troisième scénario: le déploiement de troupes européennes dans l’ouest de l’Ukraine,
pour assurer la sécurité de cette partie du pays, sécuriser la frontière bélarusse et mener des missions de formation directement en Ukraine.
Mais avec chacun de ces scénarios, il y a énormément de questions qui se posent
d’abord, celle du cessez-le-feu.
On le voit avec les hésitations de l’équipe Trump, ça ne va pas se faire tout de suite
et même si les dirigeants politiques s’accordent,
il reste peu probable que les combats s’arrêtent d’un coup sur les 1300 kilomètres de la ligne de front
Entre 2014 et 2022, on a eu des violations systématiques des multiples cessez-le-feu, et ça sur 400 kilomètres de front seulement, si je peux dire.
Russes et Ukrainiens n’arrêtaient pas de s’accuser mutuellement
et l’OSCE était au milieu, à compter les points sans avoir l’autorité politique d’attribuer les responsabilités
les Ukrainiens en ont gardé un souvenir amer et ils n’accepteront pas une nouvelle mission dans un contexte similaire de ni guerre ni paix,
qui ne viendrait que contrarier les opérations militaires qui de toutes les manières continueraient.
Les Russes aussi verraient d’un mauvais oeil le déploiement de troupes européennes
donc il y a peu de chances que Vladimir Poutine accepte cela comme une condition d’un cessez-le-feu.
Est-ce qu’il aura vraiment la possibilité de s’y opposer dans le cadre d’un accord global, c’est une autre question
mais il serait plutôt du type à pousser pour une mission de casques bleus pakistanais ou indonésiens qu’européens.
Et si des soldats britanniques, français, allemands, étaient déployés dans ce contexte, ils risqueraient d’être visés par les duels d’artillerie
que se passera-t-il à la perte des premiers soldats de l’Otan suite à un bombardement russe?
de toutes les manières au-delà de la question des bombardements,
l’Ukraine est le pays le plus miné du monde
le plus brouillé du monde, avec des systèmes de brouillage électronique j’entends,
et pays avec le plus de drones au monde.
donc même si les combats s’arrêtent, les risques existent à chaque pas.
Je l’ai déjà dit ici, un cessez-le-feu le long des lignes actuelles ne satisfera aucun des belligérants
en premier lieu la Russie qui n’a pas atteint ses objectifs politiques.
donc ça veut dire que ça ne sera qu’une pause
et que le conflit reprendra un jour
que feront alors les troupes européennes déployées en Ukraine?
Après avoir passé des années à refuser l’escalade et à crier bien fort qu’elles ne voulaient pas, ne pouvaient pas, affronter la Russie,
est-ce qu’on peut vraiment croire qu’elles s’opposeraient à une nouvelle offensive russe sur Kharkiv ou sur Kyiv?
il y a une question de capacité mais aussi de crédibilité qui se pose ici.
Il faut aussi parler de la faisabilité d’un déploiement de troupes européennes
Si l’on parle des 1300 kilomètres de front, il faut au minimum 50.000 hommes pour contrôler toute la ligne.
50.000 hommes équipés, armés, et bénéficiant de la logistique de rigueur
50.000 hommes qu’il faudra faire tourner sur la durée, donc en fait 150.000, voire 200.000 hommes qui se relaieront sur ces positions au fil des mois, des années.
Des contingents qu’il faudra financer par un effort considérable sur la durée,
ce qu’aucun des grands pays européens n’est vraiment prêt à faire à l’heure actuelle.
Donc parmi les trois scénarios que j’ai évoqué
tenir toute la ligne de front
se concentrer sur Kyiv
ou se déployer dans l’ouest de l’Ukraine
c’est le troisième qui semble le plus réalisable
car là, les Européens protégeront les airs et feront valoir leurs compétences en termes de formation
mais ça laissera à elles-mêmes les régions centrales et orientales, ainsi que Kyiv, Odessa, Dnipro, Kharkiv,
et par définition s’il n’y a pas de force de maintien de la paix il n’y aura aucun contrôle d’un éventuel cessez-le-feu.
et on se retrouvera à un point zéro,
mais avec cette différence qu’on aura des contingents européens dans l’ouest de l’Ukraine.
donc vous le voyez, la question est ultra complexe
à partir du moment où les Occidentaux, en l’occurrence les Européens, refusent toute idée d’un affrontement avec la Russie
Depuis 2022, depuis 2014, ils cherchent à contrer la Russie sans lui faire la guerre
alors que Moscou nous mène une guerre de manière de plus en plus ouverte,
il n’y a qu’à écouter les discours des représentants du Kremlin
Mais éviter de faire la guerre depuis déjà plus de dix ans, on a vu où ça a mené.
Alors il serait totalement illusoire de croire que le simple fait de déployer une force de maintien de la paix assurera la paix
et au-delà, qu’elle empêchera un prochain conflit.
Voilà, j’ai été long, mais il me semblait important de faire le point sur ce projet
Merci!