MyEurop: Les Liquidateurs de Tchernboyl se mobilisent contre l'oubli

Article paru dans MyEurop, le 23/02/2012Misère économique, pressions policières, désespoir, "les liquidateurs" de Tchernobyl ont de plus en plus de mal à survivre. Alors, ceux qui ont risqué leur vie pour fermer la centrale accidentée s'organisent, 26 ans après. Un bras de fer est engagé contre le gouvernement ukrainien, qui veut couper dans leurs pensions, déjà dérisoires. Reportage

Le 26 avril 1986 à 1h23 du matin, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl explose. S'engage alors ce qu'on appelle la "bataille de Tchernobyl", qui dure plus de huit mois et affecte près de 2 millions de personnes en Ukraine, et des dizaines de millions d'autres à travers toute l'Europe. Plus de 600.000 soldats, les "liquidateurs", sont mobilisés, de gré ou de force, pour arrêter la centrale et endiguer la contamination. A l'époque, ils sont considérés comme des héros de l'Union Soviétique.26 ans après, la reconnaissance de la patrie a pris un goût amer. Les quelques 300.000 vétérans ukrainiens de la bataille survivent difficilement, avec des aides sociales de misère. Svitlana Protsyk, la directrice du Comité des Enfants de Tchernobyl, connaît de près la situation des liquidateurs et leurs difficultés.

Ces personnes ont perdu la santé mais n'y ont gagné que très peu de compensations. Mon mari était liquidateur. Maintenant il est malade, invalide, il ne bouge plus de son lit depuis des années. Il est au degré le plus élevé d'invalidité et touche donc le niveau de retraite maximal: il reçoit 220 euros par mois."

Mais les traitements coûtent cher. "On doit voir des docteurs trois fois par mois et acheter des médicaments pour le cerveau. On y dépense 200 euros. Il existe un centre de réhabilitation pas loin, avec équipements modernes et assistance efficace, mais ça coûte 1.200 euros d'y aller. On ne peut pas se l'offrir."

Vent de révolte

Une situation difficile qui semble généralisée et a justifié une mobilisation sans précédent, à l'automne 2011. A l'époque, le gouvernement ukrainien annonce un plan de réduction des retraites et des aides versées aux liquidateurs, sur fond de crise budgétaire et de pressions du FMI. L'initiative s'inscrit en porte-à-faux de la jurisprudence des plus hautes instances juridiques du pays, qui avaient garanti au fil des ans un certain nombre d'avantages aux liquidateurs.Des manifestations se déclenchent en Ukraine et tournent au vinaigre. Début novembre à Kiev, des centaines de liquidateurs, alliés à des vétérans de la guerre d'Afghanistan, mettent à bas une palissade protégeant l'entrée du Parlement et tentent de prendre le bâtiment d'assaut.En décembre, un sit-in à Donetsk vire au drame: un liquidateur meurt des suites d'une descente de police, un autre d'une crise cardiaque. Début 2012, le mouvement se déplace à Kharkiv, avec des manifestations quotidiennes se dans les rues de la ville, avant que la vague de froid ne contraigne les manifestants, âgés et fragiles, à interrompre leurs actions. Volodymyr Proskurin est le dirigeant de la nouvelle Alliance des Vétérans de Tchernobyl, association de défense des droits des liquidateurs. Pour lui, ces actions démontrent un désespoir patent.

Je tiens à préciser que ces dernières années, dans les cas où la loi n'était pas respectée, les liquidateurs s'adressaient à la justice. Les tribunaux rendaient leurs décisions et celles-ci étaient respectées. Mais avec l'arrivée au pouvoir du président Ianoukovitch, le gouvernement a commencé à ne pas respecter les jugements des tribunaux.

Il ajoute:

Il y a des milliers de cas comme ça. De même, nous estimons que certains chefs des organisations de Tchernobyl ont trahi les intérêts de la plupart des liquidateurs et sont devenus comme des porte-paroles du gouvernement."

Un mouvement divisé

Dans sa ligne de mire, l’association Union de Tchernobyl-Ukraine, dont il a longtemps fait partie avant de faire l'objet de pressions policières et d'intimidations qui l'ont évincé de la tête de l'organisation. Dirigeant de sa propre association, il dit vouloir fédérer rapidement les autres représentants des liquidateurs et reprendre les manifestations au printemps.Le mouvement des liquidateurs initie également des dizaines de procédures en justice pour faire valoir les droits des vétérans. Ils comptent à Kharkiv sur le soutien de Yevhen Zakharov, directeur du Groupe pour la protection des droits de l'homme de Kharkiv. Avec lui, Volodymyr Proskurin rassemble des preuves de persécution policière et tente de mettre en lumière les irrégularités de ces derniers mois. Sans illusion toutefois:

A l'heure actuelle, la justice n'existe pas en Ukraine. Regardez, le président Ianoukovitch a pratiquement annulé une partie de la Constitution, sans sourciller."

Une opinion partagée par Yevhen Zakharov, qui dénonce lui une stratégie du gouvernement pour faire taire une grogne généralisée qui monte en Ukraine.

Le gouvernement croit qu'il est possible de contrer le mouvement de Tchernobyl. Aujourd'hui il y a de nombreuses protestations séparées les unes des autres: les enseignants, les agriculteurs, les vétérinaires, les étudiants, les vétérans de l'Afghanistan, les orphelins de guerre, et d'autres encore. Mais si ces manifestations se regroupaient, cela donnerait quelque chose de très sérieux."

Ce climat local délétère pousse les liquidateurs à se tourner vers l'étranger ; par exemple auprès de l'ambassadeur français pour les droits de l'homme, François Zimeray, ou, une fois tous les recours ukrainiens épuisés, vers la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg.

26 ans après, toujours pas d'ambulances

Pour l'heure, l'Union de Tchernobyl-Ukraine demeure la principale organisation de représentation des liquidateurs et l'interlocuteur privilégié des autorités. Assis sous un portrait du président Ianoukovitch, Anatolyi Vinnik, délégué de l'Union pour la région de Kharkiv, exhibe fièrement un uniforme de policier, ses médailles de vétérans et son insigne de membre du Conseil régional.Il balaye toute accusation de complicité dans des pressions policières contre Volodymyr Proskurin et ses amis. Pour lui, le meilleur moyen d'aider les liquidateurs est de travailler main dans la main avec le gouvernement et de rechercher le compromis.Des manifestations, il ne souhaite pas trop parler. Lui, préfère des méthodes discrètes de négociations afin de régler des problèmes concrets, car la situation ne s'arrange pas. Dans l'oblast [région, ndlr] de Kharkiv, plusieurs villages avaient été construits pour abriter liquidateurs et réfugiés: aujourd’hui, ces localités rencontrent encore des problèmes d'alimentation en eau et électricité, ou encore de desserte par les services d'ambulances locaux.Malgré sa loyauté apparemment indéfectible, il ne peut cacher une certaine amertume quant à la situation.

Tchernobyl est une blessure que nous portons dans nos chairs. Le taux de mortalité des liquidateurs est 4 fois plus élevé que celui du reste de la population."

Et de se demander: "Nous sommes comme des vétérans de guerre, comment nous sommes-nous retrouvés dans cette situation ? Nous ne demandons pas de privilèges extraordinaires, mais seulement ce qui nous est garanti par la loi."Avec le printemps, la mémoire de Tchernobyl et la cause des liquidateurs feront de nouveau l'actualité, à l'occasion des commémorations des 26 ans de la catastrophe. Reste à savoir quelle méthode, confrontation ouverte ou négociations discrètes, servira au mieux les intérêts de ces héros déchus.

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