RFI: Manoeuvres médiatiques en Ukraine

Chronique média, diffusée dans l'émission Accents d'Europe, le 04/07/2013

Lancement : Notre chronique média nous emmène en Ukraine aujourd'hui. L'entourage du président Victor Ianoukovitch y contrôlait déjà de nombreux médias, notamment des médias audiovisuels. Et bien il semble que cela ne lui suffise pas. Le pouvoir cherche à renforcer sa mainmise sur l'espace médiatique, afin de préparer les élections présidentielles de 2015. Sebastien Gobert vous êtes notre correspondant en Ukraine, Bonjour… Dernier épisode en date : un journal d'investigation économique a critiqué un jeune oligarque venu de nul part dans certains de ses articles : et bien ce jeune millionnaire a racheté le journal, et le groupe qui allait avec ! C'est assez pratique comme méthode, pas vrai Sébastien? C'est en effet très pratique. C'est le magazine d'investigation « Forbes Ukraine » dont on parle ici, la version ukrainienne du magazine international, très pointu dans des enquêtes de fond. Les journalistes du magazine avaient été les premiers à enquêter sur Serhiy Kurchenko, un oligarque de 27 ans, dont personne n'avait entendu parler il y a à peine un an, et déjà multimillionnaire. Forbes Ukraine a enquêté sur les sources de sa fortune, et a mis en lumière ses connexions avec « la Famille », c'est-à-dire l'entourage proche de Victor Ianoukovitch et de son fils Oleksandr. kurchenkoAlors, ni le « nouveau riche » ni « La Famille » n'ont vraiment pris la peine de démentir les conclusions de l’enquête menée par les journalistes, à part quelques déclarations pour la forme. Mais le 21 juin, une annonce très opportune est tombée : l'oligarque  a rachèté le holding UMH, dont dépend le magazine Forbes. Un des rares groupes médiatiques qui était considéré comme libre de conflits d'intérêt, c'est-à-dire non impliqué dans d'autres activités économiques. Selon Serhiy Kurchenko, c'est juste une acquisition comme une autre, un investissement économique. Mais le rédacteur en chef de Forbes, Vladimir Fedorin, a tout de suite dénoncé la tentative pour réduire au silence le journal et il a annoncé sa démission effective dans les semaines qui viennent. Si on comprend bien, il s'agit donc d'une mise au pas d'un média un peu gênant sous couvert d'une simple opération commerciale. Mais ça serait une histoire de vengeance personnelle ou, comme on le disait, une manœuvre politique en vue de préparer les élections présidentielles de 2015 ? Oh, il y a sûrement un peu des deux dans cette affaire. Mais la préparation des élections peut expliquer beaucoup de choses. Le groupe UMH possède un certain nombre de médias de presse écrite et de radio qui avaient jusqu'ici conservé une certaine liberté de parole. On peut citer Komsomolskaya Pravda, Argument y Fakty, Focus ou Korrespondent. Tout cela passe sous le contrôle de Serhiy Kurchenko et de la famille. Une journaliste de Korrespondent, Iryna Solomko, me confiait sa détresse par rapport à l'avenir de son journal. Elle était sûre que la pression se ferait plutôt discrète dans un premier temps, mais deviendrait intenable à l'approche des élections. On se rappelle aussi du rachat en sous-main en avril dernier, de la chaîne Tvi, la dernière chaîne de télévision qui critiquait  ouvertement le pouvoir, et qui est maintenant réduite à émettre des programmes consensuels et culturels. Il y aurait donc une stratégie de la famille pour faire taire les voix discordantes. Et ça pourrait marcher, parce que le nombre de médias disposant d'une marge de manœuvre se réduit comme peau de chagrin en Ukraine.Et pourtant pourtant, il ya encore des gestes de défi, il y a tout juste quelques semaines, vous avez assisté à la création d'un nouveau média indépendant... ? Oui vous avez raison, c'est hromadske.tv, télé publique en ukrainien, une chaîne de télévision entièrement en ligne et sans propriétaire majoritaire, financée par des dons de particuliers. La présentation a été faite le 11 juin et la télévision devrait commencer à émettre à la rentrée de septembre. C'est d'ailleurs une équipe d'anciens journalistes de Tvi, dont je parlais, qui est à l'origine de l'initiative, qui pourrait effectivement apporter un autre son de cloche. Mais le risque pour ce nouveau média, outre les pb de financement, c’est la question de l’audience. Seulement un tiers des Ukrainiens a accès à Internet, alors qui sait le nombre de personnes, que leurs enquêtes aussi bonnes soient-elles, vont toucher. Ensuite ces enquête doivent avoir un impact : on a vu que des très bonnes enquêtes sur l'élite au pouvoir ne suescitaient aucune réaction particulière. En Ukraine, finalement pas besoin de se lancer dans une attaque en règle contre un média qui dérange, il est plus facile de l'acheter. Ecouter la chronique ici

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