LLB: Les droits de l'homme à Kiev, une activité extrémiste?
Article publié dans la Libre Belgique, le 24/01/2014
D’habitude, nous sommes une dizaine ici. Mais ce soir, une vingtaine. Ça change tout le temps, les circonstances l’exigent. Donnez-moi une minute." Recroquevillée sur un coin de son bureau encombré, les yeux fatigués, Oleksandra Matviichuk termine une série d’e-mails en vitesse. Il y a beaucoup à faire. D’ordinaire, elle est directrice du centre des libertés civiles. Mais depuis le 30 novembre, elle est une volontaire parmi d’autres, au sein de la structure "d’EuroMaidan SOS", dont le siège est dans un petit bureau du centre de Kiev.
Le 30 novembre avait marqué le jour de la première intervention violente de la police ukrainienne contre les manifestants de l’EuroMaidan campant sur Maidan Nezalezhnosti, la place de l’indépendance. Elle et plusieurs autres défenseurs des droits de l’homme ont immédiatement créé cette structure, afin d’apporter soutien juridique et logistique aux victimes des répressions policières. "Depuis, nous avons traité plus de 700 cas, allant des disparitions de dizaines de personnes à des problèmes entre police de la route et participants de ‘l’AutoMaidan’, la branche motorisée de l’EuroMaidan. Et encore, beaucoup de cas ne sont pas recensés." "Par exemple, des citoyens se rendent en bus d’une ville de province à une manifestation à Kiev, ce qui arrive chaque semaine. Ils sont stoppés par la police. Personne ne peut les débloquer. Alors ils nous appellent, et nous négocions avec la police tout en cherchant un avocat", explique-t-elle.
Toute l’organisation est bénévole, et bénéficie du soutien d’environ 200 volontaires à travers les différentes régions d’Ukraine. "Il est difficile de parler de succès. Chacun des cas que nous traitons nous demande beaucoup de temps et d’énergie. Mais je dois dire que nous avons réussi à faire en sorte que les droits de beaucoup d’individus soient pris en compte, si ce n’est respectés."
Hormis les affrontements frontaux entre manifestants et forces de l’ordre, qui ont émaillé les deux derniers mois, le régime de Victor Ianoukovitch et des groupes qui lui sont liés se sont livrés à une série de répressions ciblées, en isolant certaines des personnalités du mouvement.
Le 20 janvier au petit matin, le militant civique Ihor Loutsenko amenait un ami à l’hôpital, victime des échauffourées qui avaient éclaté dans le centre-ville de Kiev. Ils ont été kidnappés et torturés, avant qu’Ihor Loutsenko ne puisse s’échapper. Son ami a été lui retrouvé mort, deux jours plus tard, le corps recouvert de traces de torture. EuroMaidan SOS opère une hotline en continu, et est extrêmement actif sur les réseaux sociaux. Des activités qui risquent d’être compliquées par l’entrée en vigueur, le 21 janvier, d’un ensemble de lois liberticides. "Pour l’instant, nous n’avons pas eu de problèmes avec la police", explique Oleksandra Matviichuk. Mais certains de nos volontaires ont reçu des messages anonymes leur indiquant qu’ils exerçaient des activités extrémistes. Si vouloir protéger les droits des individus et venir en aide aux victimes des violences policières, c’est être extrémiste, alors je revendique le titre !"
Pour Oleksandra Matviichuk, ces lois ne sont pas constitutionnelles, en particulier à cause du passage en force dont elles ont été l’objet au Parlement. Il n’empêche qu’elles augurent de moments difficiles pour l’EuroMaidan, et pour l’Ukraine en général. Un son de cloche partagé par Tetiana Mazur, directrice de la branche ukrainienne d’Amnesty International. "La nouvelle législation est conçue spécifiquement pour accroître les prérogatives des autorités de poursuivre les participants impliqués dans les protestations antigouvernementales dans le centre de Kiev. Cela montre que le gouvernement n’est pas intéressé par un dialogue, et se prépare à une confrontation de taille avec une large partie du pays."
Initié comme une structure provisoire, EuroMaidan SOS devrait rester actif pendant encore un certain temps. "Aussi longtemps que les gens auront besoin d’aide", soupire Oleksandra Matviichuk.