Ukraine : l'extrême droite s'incruste dans les manifs à Kiev

Article publié dans Libération, le 23/01/2014

Barricades, Hurshevskoho ul. 21.01 Un assaillant lancé contre la police ukrainienne avec un lance-pierre ou un arc avec des flèches, passe encore. Mais les photos de jeunes hommes casqués, le visage recouvert d’un passe-montagne, un pistolet ou un semblant d’arme automatique à la main, c’est choquant. L’EuroMaidan, ce mouvement de protestations antigouvernementales, que l’on décrit, de manière de moins en moins justifiée, comme une mobilisation proeuropéenne, n’était-il pas constitué d’étudiants, de retraités, de classes moyennes et de citoyens lambda, désireux d’assurer un meilleur avenir pour l’Ukraine ? Que s’est-il passé pour que les manifestants en viennent à recourir à cette extrême violence ? Et si les allégations de «militants fascistes» et «d’extrémisme», véhiculées par le régime de Victor Ianoukovitch à l’encontre de ses opposants, étaient fondées ?A la différence de la révolution Orange de 2004, l’EuroMaidan est structuré de manière complexe et diverse. Etudiants, retraités, cadres, ouvriers, militants politiques et artistes, partisans nationalistes d’extrême droite et sections «AntiFa» (antifascistes), on peut trouver de tout sur le campement de Maidan Nezalezhnosti, la place de l’Indépendance. Le dénominateur commun principal étant le rejet de la dérive autoritaire du régime. Personne n’ayant réussi à s’imposer, les différentes tendances s’expriment dans le cadre de leur secteur géographique du camp.

«Pour eux, la violence est une forme d’action normale»

Praviy Sektor, groupe de militants nationalistes, rattachés à des mouvances d’extrême droite, qui est au cœur des affrontements faisant rage contre la police depuis le 19 janvier, est l’une de ces factions. «Ce sont des gens de tout âge, soit russophones, soit ukrainophones, qui viennent de toutes les régions d’Ukraine, Est ou Ouest, et qui se revendiquent nationalistes. Beaucoup sont affiliés à l’extrême droite, mais pas au parti nationaliste Svoboda, qu’ils trouvent trop mou», se défend un des dignitaires du parti Svoboda, sous couvert d’anonymat. Le groupe est né  sur l’EuroMaidan, en devenant un des organes de sécurité du campement. Visiblement disciplinés et motivés, les participants ont bénéficié de cours d’autodéfense, offerts par certains membres plus expérimentés. «Beaucoup d’entre eux appelaient depuis longtemps à répondre à la violence de la police par la violence, ce à quoi les organisateurs de l’EuroMaidan s’étaient toujours opposés. Or, pour eux, la violence, c’est une forme d’action normale. Certains s’y étaient préparés toute leur vie !», poursuit le membre du parti Svoboda.Le dimanche 19 janvier, il semblait clair que l’ensemble des participants réclamait une radicalisation des actions de l’EuroMaidan. Le gouvernement venait juste de faire passer, en force, une série de lois liberticides, que beaucoup dénoncent comme «une légalisation de la dictature». Les trois leaders des partis d’opposition, réunis devant plus de 100 000 personnes, ont été incapables d’annoncer un plan d’action clair, ni même de s’accorder sur un candidat unique à la prochaine présidentielle. Une fois le rassemblement terminé, des dizaines de milliers de personnes se sont dirigées vers le Parlement afin d’y manifester. En se heurtant à un cordon de police, quelques groupes d’agitateurs non identifiés se sont frottés à la police. Quelques minutes après, c’étaient les membres de Pravyi Sektor qui prenaient le relais et initiaient des attaques organisées contre les forces de l’ordre.Depuis, ce sont eux qui mènent le théâtre des affrontements. Pavés et cocktails Molotov pleuvent sur les policiers. Tous les membres sont armés, et le groupe a même entrepris de construire une catapulte, dès le 20 janvier. Tout ce qui peut être utile dans la lutte contre le régime. A cela s’ajoutent des centaines de personnes, non-affiliées à Pravyi Sektor, qui tiennent à être sur place, munis d’équipements divers – casques, cagoules, battes de base-ball – pour prêter main-forte aux assaillants en cas de coup dur. Mais qui se placent dans une position de défense plus que d’attaque.

«Tous différents, mais très unis»

Les quelques centaines de mètres qui séparent les émeutes de Maidan Nezalezhnosti sont constamment parcourus par des badauds, participants de l’EuroMaidan, qui viennent observer les combats sans y participer. «Je ne veux pas me battre, mais je soutiens ces gars», confie Taras, qui se dit loin d’être extrémiste, mais qui y voit là la seule issue possible face à l’intransigeance du pouvoir. «Les autorités se radicalisent, on ne pouvait pas rester à rien faire, en attendant qu’ils viennent nous persécuter chez nous». «Nous sommes tous différents, mais en ce moment très unis», explique Tetiana, une jeune volontaire qui distribue du thé chaud à qui en veut. «Chacun fait ce qu’il peut. Ce régime doit tomber.»

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RFI: Un manifestant à Kiev