RFI: Lviv, la ville "libérée" de Ianoukovitch

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 03/02/2014Lviv, la ville la plus européenne d’Ukraine, bastion de l’opposition au pro-russe Viktor Ianoukovitch. Deux semaines après les violences meurtrières à Kiev, le pouvoir du président ukrainien semble fragilisé. Au Parlement, sa majorité s'agite. Dans les chancelleries occidentales, on soutient de plus en plus ouvertement les protestataires. Au Kremlin, on s'impatiente. Et dans les régions d'Ukraine, les manifestations de masse se poursuivent à l'est, alors qu’à l'ouest, le pouvoir a complètement perdu pied. Reportage.IMG_0682[1]

On a l'air bien loin de l'agitation de Kiev, et des violents affrontements qu'il y a eu dans certaines villes de l'est du pays. A Lviv, les façades Art Nouveau se dressent toujours aussi pimpantes et les cafés  ne désemplissent pas. Le calme est trompeur. Lviv, et les régions occidentales du pays, sont les principaux foyers de contestation au régime de Victor Ianoukovitch. Des convois quotidiens font la navette pour la capitale Kiev, en emportant vêtements, nourriture, argent et manifestants. La mobilisation est défendue, si ce n'est encouragée, par la municipalité. Serhiy Kiral est conseiller du maire. Il confirme que la ville s’est libérée de la tutelle de Victor Ianoukovitch. Mais finalement, ce n'est pas une nouveauté.Serhiy Kiral: l'atmosphère est très ouverte ici, ça n'a jamais été plombé par le régime, pas même dans les années précédentes. Depuis longtemps, Lviv a cette position unique d'être à la fois la plus ukrainiennes des villes d'Ukraine, tout faisant la preuve de valeurs et de mentalités à l'européenne. Ce sont les symboles de Lviv, de sa culture, de la mentalité de ses habitants. Et en parallèle, les habitants savent  conserver leurs traditions, leur culture.La ville a longtemps fait partie de l'empire austro-hongrois et de la Pologne. Et la frontière polonaise aujourd'hui, c'est-à-dire la frontière de l'espace Schengen, ne se trouve qu’à 60 kilomètres de là.Pour les habitants de Lviv, traverser la frontière est presque une question de routine. Des dizaines de milliers de personnes des régions de l'ouest ont émigré pour travailler dans des pays d'Europe de l'ouest. Les liens qu'ils développent entre ici et là-bas contribue encore plus à rapprocher cette partie de l'Ukraine d'une réalité à l'européenne. Alors ici, le bâtiment de l'administration régionale a été occupé sans coup férir. Le gouverneur, nommé directement par Victor Ianoukovitch, a été poussé à signer sa propre lettre de démission. Et le groupe du parti des régions, la majorité présidentielle, au conseil régional s'est tout simplement auto-dissous. Son chef, l'homme d'affaires Petro Pysarchuk, le justifie par un environnement par trop hostile, et des pressions sur les entreprises des représentants du parti. Mais même par rapport à la ligne de son parti, Petro Pysarchuk cultive une certaine dissidence et un tropisme régional. Petro: Il est très difficile de trouver une personne, ou une force politique, qui pourrait ménager toutes les différences et solidifier l'Ukraine. Le parti des régions avait déclaré qu'il pouvait unifier les régions du pays en prenant en compte les différences historiques. Mais malheureusement, il s'avère aujourd'hui qu'il n'a pas pu tenir sa promesse. Le parti est né dans l'est de l'Ukraine, et il comprend avant tout cette partie. De l'avis général, l'est est très différent : russifié, industriel, pollué et soumis au régime autoritaire de Victor Ianoukovitch. A Lviv pourtant, pas question d’évoquer un quelconque séparatisme : on parle plutôt de la nécessité de construire une Ukraine unie, où l'Etat de droit et un système judiciaire équitable serait appliqués à tous. Et les habitants portent clairement cette mission. Selon les estimations, la moitié des manifestants à Kiev vient de la ville et de l'ouest du pays. Lviv peut se permettre d'envoyer ses manifestants et militants à Kiev, car la police locale n'a jamais montré le moindre signe d'agression. Devant le bâtiment de l'administration régionale occupée, une barricade est bien dressée, mais c'est plus une question de principe qu'une réelle protection. A l'intérieur du bâtiment, deux policiers montent à la garde à quelques mètres de l'entrée des locaux de Pravyi Sektor, le groupe radical nationaliste qui a été au cœur des affrontements meurtriers des deux dernières semaines. Dans la capitale, c'est un no man's land qui sépare les deux camps. Mais ici, un jeune homme, passe-montagne sur la tête, explique que c'est totalement différent. Pravyi Sektor: la police à Kiev, ce sont des unités qui viennent de l'est de l'Ukraine, des régions qui ont été totalement russifiées et où les gens n'ont plus d'idéaux. Ils ne se battent que pour l'argent. Mais nous devons rester ici. Praviy Sektor est présent dans chaque ville d'Ukraine, et même si c'est calme ici à l'administration régionale, il faut se préparer à tout. La situation change tous les jours. Pour l'instant, tout va bien. Plus au sud de la ville, une petite dizaine de personnes bloque depuis plusieurs jours les entrées d'une caserne de police. Le but du jeu, c'est d'éviter que les troupes ne prennent la route pour prendre part à la répression à Kiev. De l'aveu général des protestataires, si les policiers voulaient forcer le passage, ils le feraient sans problème. Mais les forces de l’ordre leur font comprendre que cela les arrange bien. Ainsi ils n’ont pas à se poser de cas de conscience. Andriy Sokolov est le chef de l'union des syndicats local. Jusqu'à récemment, il était en charge du système de sécurité de l'occupation de l'administration régionale. Tout se passait remarquablement bien, disait-il. Mais les menaces d'instauration de l'état d'urgence se faisant de plus en plus pressantes, le syndicaliste a dû passer à un autre niveau d'organisation.Andriy: à l'heure actuelle, il est difficile de savoir où ça va aller, dans quelle direction vont nous entraîner Victor Ianoukovitch et Poutine, s'ils préparent une nouvelle répression, un nouveau coup de force qui nous détourneraient encore plus de l'Europe. Tout dépend des garanties qu'il peut recevoir de Poutine, et s'il veut devenir un nouveau dictateur, un nouveau Loukachenko comme en Biélorussie. Je dis tout ça pour que vous compreniez qu'ici, la situation est calme mais il y a des forces qui viennent d'ailleurs et que tout peut changer. Nous devons nous préparer au pire. Pour la population de Lviv,  la menace, les troubles  ne peuvent venir que de l'extérieur. En attendant, la ville est effectivement libérée de l’emprise du pouvoir autoritaire de Victor Ianoukovitch, et elle vit déjà dans l'après-révolution. Ecouter le reportage ici

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Libération: "A Lviv, 200 000 personnes sont prêtes à descendre dans la rue"