RFI: Des réfugiés de Crimée à Lviv

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe sur RFI, le 02/04/2014

Ce seraient déjà plus de 5000 personnes qui auraient quitté la Crimée pour fuir l'annexion russe de la péninsule. 90% d'entre eux sont des membres de la communauté tatare musulmane. Le gouvernement à Kiev a lancé un plan d'accueil à travers différentes régions, pour prendre en charge jusqu'à 20.000 personnes. A Lviv, la capitale de l'ouest du pays, on n'a pas attendu que le gouvernement central lance ce plan : la ville est la première ville d'accueil depuis le début mars, sous l'impulsion de la société civile et avec l'aide des autorités locales. Sur place, la vie se réorganise peu à peu pour les réfugiés...

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Elle a toujours l'air un peu perdue, dans la petite chambre commune qui lui a été attribuée dans un centre de loisir de la banlieue de Lviv. Il y a quelques semaines encore, Sevil Kaneeva, mariée, deux enfants, travaillait comme orthodontiste dans une clinique privée de Simféropol, la capitale de la Crimée. Mais très vite, tout a basculé.

Sevil: Nous étions inquiets en permanence, à cause des soldats dans la ville. Même quand j'emmenais mes enfants à la crèche, il y avait des hélicoptères de l'armée, très souvent. Ils étaient partout. J'ai compris que c'étaient des soldats étrangers. Par exemple, ils ne savaient pas quels produits acheter dans les magasins. Quand ils ont fermé l'espace aérien, nous avons décidé de partir. Nous étions 3 adultes et 2 enfants, et nous avons eu beaucoup de chance, car ils ont ajouté un wagon supplémentaire au train, et nous avons pu acheter des places

Pourtant Sevil Kaneeva ne se plaint pas. Elle raconte avoir été très bien accueillie, elle et ses enfants. Son nouvel environnement est calme, et elle peut se remettre à penser au futur.

Sevil: Déjà depuis Simféropol, j'ai appelé cette hotline que j'avais trouvé sur Internet. Ils nous ont aidé à réserver des billets de Kiev à Lviv, et nous sommes arrivés ici. A partir de là, il s'est passé beaucoup de bonnes choses pour nous. Mes enfants ont pu aller à la crèche dès le deuxième jour. Ca m'a beaucoup aidé. Je peux dire merci à beaucoup de gens.

Parmi ces personnes, Oleh Kolyasa a joué un rôle clé. Professeur d'université, il est le coordinateur volontaire du « Secteur civique de l'EuroMaidan », créé pour venir en aide aux révolutionnaires de Kiev ces derniers mois. Les pouvoirs publics prennent en charge 1200 personnes, et le secteur civique environ 350. Comme il l'explique, c'est un effort de solidarité citoyen inédit qui permet aux réfugiés de ne pas se trouver dans un état de précarité dangereux.

Oleh: Les gens ont été extrêmement actifs et généreux. Pas seulement dans leurs promesses d'aide et de dons, mais aussi pour s'organiser, pour maintenir le réseau téléphonique, les transports, les réseaux de distribution. Beaucoup de gens ont aussi proposé toute sorte d'activités pour les réfugiés, comme des excursions, des tours à la piscine, ou encore des visites d'écoles privées... La guerre renforce la société. Et de manière générale, le Maidan a fait que les gens ont recommencé à s'entraider sans attendre d'argent en retour.

Svitlana Ouralova est la directrice de l'école n°3 dans le centre-ville. Elle accueille 4 enfants, même sans documents d'inscription. Elle explique qu'ils apportent une diversité appréciable dans leurs nouvelles classes. Ils parlent avant tout russes mais s'intègrent très bien. Pour elle, malgré la situation dramatique de la Crimée, l'arrivée des réfugiés est une bouffée d'air pour Lviv et une bouffée de patriotisme.

Svitlana: La première question bien sûr, c'est pourquoi sont-ils venus ici, dans l'ouest de l'Ukraine ? Est-ce qu'ils n'avaient pas peur ? Selon la propagande de l'est, l'ouest est rempli d'extrémistes nationalistes ! Mais les parents me disent qu'ils voulaient venir ici, à Lviv, pour se construire un nouveau futur. Ils disent qu'ils étaient attirés par le dynamisme de la ville, son patriotisme. La plupart sont jeunes et veulent trouver un emploi ici. Et ils ont été bien accueillis. les parents de la classe ont réagi d'une manière très positive, beaucoup se sont cotisés pour fournir une aide financière, et d'autres choses à ces familles.

Un accueil chaleureux qui fait de l'effet. Ernest Vladimirov a 12 ans, c'est l'un des nouveaux élèves, qui a fui avec ses parents de Kertch, à l'est de la péninsule de Crimée.

Ernest: Ici, l'école est meilleure. Les élèves sont plus disciplinés, je peux me concentrer sur le travail. A Kertch, la maîtresse devait s'énerver souvent, les enfants faisaient du bruit... Et ici, la ville est plus belle.

Les parents d'Ernest, tout comme Sevil Kaneeva, s'affairent déjà à chercher des emplois et des logements définitifs. Plus que des réfugiés, ils sont aussi des citoyens ukrainiens. Pour eux, la Crimée semble déjà bien lointaine, et ils pourraient aider le pays à faire le deuil de la péninsule.

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