RFI: 25 ans de la légalisation de l'Eglise gréco-catholique d'Ukraine

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 01/12/2014Il y a 25 ans tout juste, le 1er janvier 1989, était légalisée celle qui avait été l’une des Eglises clandestines les plus importantes sous l’ère soviétique... Et aujourd’hui, cette église, un patriarcat chrétien de rite orthodoxe sous l’autorité du pape, est florissante. Mais, ses relations avec l’Eglise orthodoxe, en particulier avec le patriarcat de Moscou, ne sont pas toujours harmonieuses.L'historien Taras Bublik devant une exposition sur l'époque clandestine de l'Eglise gréco-catholique, Université Catholique Ukrainienne. A se promener dans les rues de Lviv, d’une église à une autre, il est difficile de croire que la religion avait disparu de cette ville pendant plus de 40 ans. EN 1945, Staline conquiert la région et les Soviétiques organisent un synode qui conduit à la dissolution forcée de l’Eglise gréco-catholique. des centaines de prêtres sont convertis de force à l’orthodoxie, ou arrêtés, déportés et tués.Myroslava Kryvdik est née en 1957, alors même que plusieurs de ses proches, des religieux, étaient déjà en exil en Sibérie. Pour sa famille, il était hors de question d’afficher sa foi, mais aussi hors de question de tout abandonner.

Myroslava Kryvdik: Tout est resté secret, rien n’a franchi les murs de notre maison.  Nous avons  baptisé nos 4 enfants chez nous. En fait nous avons organisé notre Eglise clandestine. Quand nous célébrions la messe, nous faisions en sorte de jouer de la musique pour couvrir les bruits. On débranchait le téléphone, qui était mis sur écoute. Lorsqu’on organisait des rencontres, c’était avec une seule autre famille maximum, dans un endroit décidé bien à l’avance, en secret, et pas toujours chez nous. Le plus grand défi était de transporter les objets nécessaires pour l’office. 

Pointée du doigt par les historiens, l’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou, qui bénéficiait d’un soutien tacite du régime soviétique et a récupéré de nombreuses possessions gréco-catholiques. Aujourd’hui encore, la rétrocession  de propriétés immobilières et d’autres biens reste une question épineuse, comme le souligne l’historien Taras Bublik. Mais selon lui, il est temps de tourner la page, et de se concentrer sur les souffrances du passé, largement partagées.Taras Bublik: Il faut se rappeler que le régime soviétique était un régime athée, et que toutes les confessions en ont souffert. Dans l’entre-deux guerre, c’est l’Eglise orthodoxe qui a été très persécutée. Dans les années 50,  les Gréco-catholiques. Tout au long de la seconde moitié du 20ème siècle, les protestants ont beaucoup souffert. Et les répressions ont pris des formes diverses. Sous Staline, c’était les arrestations, les bastonnades, les déportations, les exécutions. Sous Krouchtchev, il s’agissait plus d’intimidations et de fermetures d’églises… On ne peut pas dire que l’Eglise gréco-catholique a été la plus persécutée des Eglises. Mais ce qui est sûr, c’est que c’était l’une des Eglises clandestines la plus importante. Et quand l’Eglise sort de la clandestinité en 1989, elle se remet sur pieds très rapidement, renforcée par ces années de répression, ce que rappelle  le jeune prêtre universitaire Oleh Kindiy, de l’université catholique ukrainienne.Oleh Kindiy: Le martyr n’est absolument pas une de nos faiblesses. C’est une source d’inspiration, c’est un rappel du sacrifice ultime du Christ  pour le salut de l’humanité. C’est perçu comme l’expression la plus élevée de la dignité humaine. Fort d’un soutien marqué de ses fidèles en Ukraine et dans la large diaspora ukrainienne, l’Eglise gréco-catholique connaît depuis 25 ans un développement spectaculaire. Le patriarcat a retrouvé son siège à Kiev il y a peu, dans une cathédrale flambant neuve. Un développement dont se félicite le jeune prêtre Oleh Kindiy.Oleh Kindiy: Un élément de la réponse, c’est que l’Eglise orthodoxe, dans le centre et l’est de l’Ukraine, a été décrédibilisé par ses compromis avec le régime  soviétique.  L’Eglise avait été partie prenante de l’idéologie d’Etat, en quelque sorte. Je me rappelle avoir visité la région de Poltava, dans l’est du pays, pour aller voir quelques communautés gréco-catholiques. Les fidèles n’avaient rien à voir avec l’ouest de l’Ukraine. Mais ils ont rejoint l’Eglise car ils se disaient que l’Eglise gréco-catholique étaint une Eglise ukrainienne sans tâche. Au moins, ils étaient sûr que les prêtres n’avaient pas du se compromettre avec le KGB ou les hommes politiques russes. Alors que l’Ukraine et la Russie se livrent une guerre non-déclarée, les tensions entre gréco-catholiques et orthodoxes se ravivent, ici et là. Le patriarcat de Moscou ne cache pas sa volonté de renforcer le concept de “monde russe”, qui allie intimement nationalisme russe et unité religieuse dans l’orthodoxie.Constantin Sigov est directeur du centre de recherches européennes à l’université de Mohyla à Kiev. Joint par téléphone, il perçoit aussi ces tensions entre les confessions, d’autant qu’il estime que les valeurs gréco-catholiques rejoignent les idéaux de la révolution de l’EuroMaidan.Constantyn Sigov: Un peu comme partout, il y a des intégristes qui pensent être plus catholiques que le pape à Rome, qui accusent la hiérarchie actuelle, qui sont contre les démarches œcuméniques, l’ouverture, entre autres, à l’orthodoxie. Mais il faut tout de suite remarquer que chaque discours xénophobe reçoit tout de suite un rappel à l’ordre assez strict de la hiérarchie et des fidèles. Je pense qu’au centre de la révolution à Kiev, il y avait précisément la dignité de l’homme. Je pense que c’est ça l’idée ici, la dignité de chaque citoyen, de chaque être humain. Il y a une distance par rapport à la politique. 25 ans après sa légalisation, l’Eglise gréco-catholique se considère comme une institution moderne, tolérante, réformatrice. Au-delà des questions de foi et de croyance, elle poursuit son développement, petit à petit, en s’inscrivant comme une Eglise avant tout ukrainienne.Ecouter le reportage ici

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