Le Monde Diplomatique: Sur le front de l'uranium
Article co-rédigé avec Laurent Geslin, publié dans Le Monde Diplomatique, édition de mars 2015Certains matins d’hiver, l’humidité monte du Dniepr et noie dans la brume les cubes de béton de la centrale nucléaire de la ville d’Enerhodar, située dans l’oblast de Zaporijia (sud-est de l’Ukraine). Les bus poissés d’une neige sale descendent des avenues taillées au cordeau pour transporter onze mille employés vers le cœur du complexe nucléaire. « Enerhodar, c’est une cité de progrès, la capitale énergétique de l’Ukraine, explique avec fierté M. Oleg Ocheka. Les cinquante-quatre mille habitants de la ville ont conscience qu’ils fournissent de l’électricité à des millions de foyers. » Le directeur adjoint du centre d’information de la centrale a emménagé ici au début des années 1980, quand la ville était jeune et que l’Union soviétique semblait éternelle. Les premiers immeubles ont été édifiés en 1970 pour héberger les employés d’une usine thermique bâtie le long du fleuve. La construction de la centrale électrique atomique Zaporiska AES a débuté en 1972. Le nucléaire entraînait le développement de villes modèles dont l’aménagement urbain devait offrir des conditions de vie idéales aux employés. Prypiat, la plus célèbre d’entre elles, achève aujourd’hui de disparaître sous la végétation, au cœur de la zone interdite de trente kilomètres de rayon qui entoure Tchernobyl, dans le nord du pays.La centrale de Zaporijia compte six réacteurs, d’une capacité de 1 000 mégawatts (MW) chacun. Plus puissante que Gravelines, la première centrale française (5 400MW), elle n’est surpassée en capacité que par les huit réacteurs de Bruce, au Canada (6 232 MW). La production d’électricité assure une relative prospérité à cette ville où l’on pénètre avec l’étrange impression de faire un voyage dans le temps. « L’URSS s’est effondrée, mais les conditions de vie n’ont pas beaucoup évolué à Enerhodar », continue M. Ocheka. Même si les façades des blocs d’habitations sont décrépies, la ville demeure suffisamment attractive pour que ses écoles soient pleines. « Il y a toujours de l’eau chaude, l’électricité coûte moins cher qu’ailleurs, les (...)Lire le reste de l'interview (accès abonnés)