RFI: La Métallurgie, victime collatérale de la guerre du Donbass

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 23/02/2015Tous les regards sont désormais tournés vers le port stratégique de Marioupol. Dernière grande ville de l’Est de l’Ukraine, encore entre les mains de l’armée de Kiev. Le cessez-le-feu officiel, qui n’a pas été respecté la semaine dernière tient désormais à un fil ; et aux côtés des civils, c’est bien sur l’économie et l’industrie qui font les frais des combats. L’industrie métallurgique, qui emploie et fait vivre la région a bien du mal à tenir. Sur les bords de la mer d’Azov, Sébastien Gobert est allé visiter le complexe Illitch, très fragilisé.
Ce matin de février, la pâleur terne des nuages qui planent au-dessus de la ville portuaire de Marioupol se confond avec les épaisses fumées du complexe métallurgique géant “Illitch”, baptisé ainsi en l’honneur du révolutionnaire bolchevique Lénine.Passé  l’imposant portail d’entrée, il faut plusieurs kilomètres à travers un dédale de tuyauteries et de hauts-fourneaux, pour atteindre l’énorme bâtiment du convertisseur sidérurgique.A l’intérieur, l’ingénieur Vitali Vorojo explique son travail avec fierté.Vitali Vorojo: Regardez, on verse la fonte en fusion dans une cuve qui contient des ferrailles. On brûle les éléments indésirables, et on obtient un premier alliage de métal, que l’on appelle de l’acier liquide sauvage. 80% de la production est destinée à l’exportation, vers 60 pays du monde.Dans une région en grande difficulté économique, l’activité du complexe est vitale, comme l’assure le directeur du convertisseur, Oleksandr Laryonov.0leksandr Laryonov: Le complexe, c’est la seule entreprise qui reste en ville pour donner du travail et subvenir aux besoins de centaines de milliers de personnes. Mais ce n’est pas facile. A 5 kilomètres d’ici, il y a la guerre.Depuis le début de la guerre du Donbass, le complexe Illitch a été relativement épargné par les bombardements, contrairement à  l’autre complexe métallurgique géant, Azovstal, qui s’étend le long de la côte. Mais l’activité de l’entreprise est extrêmement précaire à cause du conflit, comme l’indique Oleksandr Laryonov.Oleksandr Laryonov: Nous travaillons pour l’exportation. Mais d’un moment à l’autre, nous pouvons nous retrouver sans moyens de transport. A quelques kilomètres d’ici, ils ont déjà bombardé le pont qui reliait notre complexe et celui d’Azovstal au port. Les combats ne sont pas le seul problème. Les complexes Illitch et Azovstal font partie de la société Metinvest de l’oligarque Rinat Akhmetov. L’approvisionnement en coke, ce type de charbon indispensable aux hauts fourneaux, était auparavant bien assuré par des sociétés sœurs. Mais elles sont aujourd’hui en territoire séparatiste. Confronté à des pénuries énergétiques, le complexe fonctionne à 60% de ses capacités, comme le déplore le directeur de l’ingénierie, Constantin Pismarev.Constantin Pismarev: Notre façon de travailler n’est pas normale. Nous ne pouvons plus recevoir suffisamment de coke depuis notre filiale d’Adievka, qui est littéralement sur la ligne de front. D’ordinaire, nous jouissons d’une intégration verticale je ne comprends pas (Metinvest assurait toute la chaîne de production, extraction de charbon - raffinage en coke - transport-  distribution - aciérie - exportation. Quel est le terme français consacré?) et d’approvisionnements réguliers. Mais les combats compliquent tout. On doit donc  commander de la coke à la Chine, l’Italie et la Pologne. C’est un cauchemar logistique. Nous naviguons à vue. Par exemple, nous avons de réserves de coke pour deux jours seulement, alors qu’il  nous en faudrait pour au moins 5 à 7 jours. La compagnie souffre aussi d’une réduction de ses approvisionnements en gaz naturel, en raison d’un contentieux sur une dette impayée.La direction dénonce un vice de procédure administrative, aux conséquences dramatiques. Oleksandr Laryonov.Oleksandr Laryonov: Le pire, c’est que nous avons de l’argent, la compagnie a des ressources suffisantes. Mais l’Etat nous doit plus de 4 milliards de hryvnias (plus de 130.000 euros) d’abattement fiscal et donc nous attendons que l’argent nous revienne. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus payer pour le gaz ou l’électricité. C’est très grave.Certains y voient aussi une affaire politique, une sorte de représailles du nouveau gouvernement ukrainien contre l’oligarque Rinat Akhmetov. Très proche de l’ancien président autoritaire Victor Ianoukovitch, il est aussi accusé d’avoir encouragé les premiers mouvements séparatistes dans l’est de l’Ukraine.Aujourd’hui, ses activités industrielles sont néanmoins essentielles pour la stabilité de la ville de Marioupol. Constantin Pismarev, le directeur de l’ingénierie.Constantin Pismarev: L’an dernier, notre complexe a transféré un demi-milliard de hryvnias (environ 18 millions de francs CH) aux budgets de la ville et de l’Etat. J’espère que tous les gens normaux comprennent que bombarder l’usine, ou entraver ses activités, cela veut dire la mort de la ville.Le nouveau cessez-le-feu a été accueilli comme une bonne nouvelle pour le complexe Illitch. Mais il pourrait bien ne pas suffire pour en garantir la survie. De manière directe ou indirecte, la guerre du Donbass a d’ores et déjà ruiné l’essentiel de l’économie de la région.Ecouter le reportage ici 
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