RFI: L'Université de Donetsk en exil
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 09/04/2015Le cessez-le-feu perdure dans l’est de l’Ukraine, malgré des échauffourées régulières. Sous la menace d’une reprise prochaine des hostilités, la région est d’ores et déjà dévastée. Le conflit a fait au moins 6000 morts et des dizaines milliers de blessés selon les dernières estimations de l’ONU. Elle a poussé des centaines de milliers de personnes sur les chemins de l’exil, ainsi qu’entreprises, administrations et autres institutions qui ne voyaient pas d’avenir dans les républiques séparatistes. Aujourd’hui, à 800 kilomètres de Donetsk, dans la ville de Vinnytsia, l’université nationale de Donetsk cherche à repartir de 0. Devant le bâtiment de l’usine “Krystal”, ce ne sont plus orfèvres ou ouvriers qui vont et viennent dans l’ancienne fabrique de bijoux. Depuis octobre 2014, ce sont les étudiants et professeurs de l’université nationale de Donetsk qui prennent leurs marques à Vinnytsia, dans le centre de l’Ukraine.A 800 kilomètres de sa région natale, contrôlée par les séparatistes pro-russes, Lilya Jmykhova a 18 ans, elle est étudiante en relations internationales. Elle essaie de se construire un avenir.Lilya: J’ai suivi l’université de Donetsk dans l’espoir de terminer mes études en toute sécurité, sans problèmes si l’on peut dire… Là-bas, ce n’était plus possible de rester. Tout le monde a compris, de manière assez logique, qu’il ne peut y avoir aucun avenir, aucune opportunité pour la population dans les mois qui viennent. Nous avons donc décidé de partir. Dans son bureau fraîchement repeint, le recteur Roman Gryvniouk prend lui aussi ses marques. Après avoir été renvoyé par le gouvernement séparatiste auto-proclamé à Donetsk, il a quitté la ville. Pour lui, cela n’a aucun sens de rester dans le Donbass.Roman Gryvniouk: Ils disent qu’ils veulent importer les standards russes d’éducation. Mais je pense qu’ils ne peuvent rien construire de nouveau dans ces territoires. Les gens les ont abandonnés, ils sont partis. Et Leurs deux priorités sont idéologiques: interdire tout ce qui est ukrainien; et restaurer l’URSS. La priorité du recteur maintenant, c’est de tout reconstruire. 14000 étudiants étaient inscrits à Donetsk l’année passée. 6000 suivent aujourd’hui des cours par correspondance, et à peine un millier s’entassent dans ce bâtiment du centre-ville qui porte encore le logo de l’usine “Krystal”.Maksym Prykhnenko est un étudiant en thèse, il fait la visite des lieux sans aucune fierté.Maksym: Ce n’est absolument pas adapté. Toutes ces salles doivent être reconstruites, restructurées … rééquipées. Certaines pièces n’ont même pas de tables! A Donetsk, nous avions de bons équipements, des ordinateurs, des instruments électroniques. Malheureusement, nous avons dû tout laisser là-bas. Livrés à eux-mêmes, les étudiants doivent aussi trouver de quoi se loger par leurs propres moyens.Hanna Pasekova, étudiante en relations internationales, nous conduit dans sa petite chambre.Elle doit en payer le loyer elle-même et partager les lieux avec trois autres jeunes filles.Hanna: Comme vous pouvez le voir, nous sommes quatre ici. Il y a tout ce qu’il nous faut, nous n’avons pas eu de problèmes particuliers. Tout le monde nous a bien accueilli. Nous nous satisfaisons de ces conditions car nous voulons étudier à l’université de Donetsk (petit rire)A la municipalité, la maire adjointe Halyna Yakoubvitch assure faire tout son possible.Halyna Yakoubovitch: Nous les aidons sans réserve du point de vu social, pour qu’ils s’adaptent. Ainsi, nous avons consenti des prix réduits du gaz et de l’électricité pour ceux qui louent un logement. Sur ces questions et beaucoup d’autres, nous travaillons ensemble.La municipalité vient d’ailleurs de récolter plusieurs millions d’euros de diverses organisations pour aider l’université et les familles déplacées du Donbass.Au-delà de la solidarité nationale, la qualité de accueil est importante. Il n’y avait pas d’université d’Etat à Vinnytsia auparavant. La ville vient donc d’en acquérir une à moindre coût. Et comme le recteur Roman Gryvniouk l’explique, tout le monde en profite.Roman Gryvniouk: A Vinnytsia, il n’y avait pas vraiment d’université. Nous avons vu ici des perspectives de développement. Cette année, nous avons déjà inscrit près de 300 étudiants qui viennent de la région de Vinnytsia. Nous sommes d’ores et déjà l’un des principaux employeurs de la ville, nous recrutons largement : du personnel d’entretien aux professeurs. Vous le voyez, nous avons déjà trouvé notre place dans le développement de Vinnytsia. Au vu de la situation inextricable qui perdure dans l’est du pays, l’université de Donetsk n’est en effet pas près de revenir à Donetsk.Malgré la précarité, malgré les familles restées dans le Donbass et les souvenirs tragiques, pas de défaitisme. C’est donc dans la joie que l’université célèbre, un soir de mars, la fête de la faculté d’histoire. Sa directrice Tetyana Nahornyak ouvre la cérémonie.Tetiana Nahornyak: Aujourd’hui, nous ne célébrons pas seulement la fête d’une des facultés de l’université. Aujourd’hui, nous célébrons toute l’université nationale de Donetsk! Elle note avec ironie que l’exil à Vinnytsia, ville du Président Petro Porochenko, est placé sous de bons augures…Tetiana Nahornyak: Avant, nous étions l’université de la ville du président. Maintenant, c’est encore le cas… Et c’est avec la chanson Djakuju Tobi, “Je te remercie” en ukrainien, que les professeurs, émus, se pressent sur la scène pour chanter ensemble. Portés par les applaudissements de leurs étudiants, ils entament cette nouvelle étape de l’université nationale de Donetsk.Ecouter le reportage ici