RFI: Des réfugiés anti-Poutine à Kiev

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 01/05/2015Conséquences du conflit ukraino-russe, plus d’un million de personnes déplacées et de réfugiés du Donbass sont aujourd’hui éparpillées entre l’Ukraine, la Russie et d’autres pays. Ce qu’on sait moins, c’est qu’un certain nombre de militants anti-Poutine russes fuient la Russie par peur de persécutions politiques. En toute logique, ils s’attendent à une certaine ouverture de la part d’une Ukraine qui considère la Russie comme un «Etat agresseur». Mais, c’est loin d’être le cas. An Auto- something. Assis dans un café du centre-ville de Kiev, Alexeï Vetrov contemple son thé avec détresse.Alekseï Vetrov: Là, j’arrive tout juste à Kiev. Regardez, j’ai tout dans mon sac à dos. Je ne sais pas où, mais je vais vivre ici désormais.Alexeï Vetrov a 36 ans, il est arrivé en Ukraine il y a près d’un an, en mai 2014. Il venait alors de Moscou, où il était activement engagé contre le régime de Vladimir Poutine. Avant d ‘arriver à Kiev, Il a habité dans un petit village du centre de l’Ukraine, balloté entre offices de l’immigration et tribunaux.Alekseï Vetrov: Dès le début,  je m’attendais à ce qu’on me refuse le statut de réfugié. Mais j’ai quand même tenté le coup, avec le concours d’une association qui s’appelle “Questions de réfugiés”. Et puis ça n’a pas manqué; j’ai reçu un avis de refus de l’office des migrations. Alors j’ai tenté deux appels en justice, je viens de perdre le deuxième. Ca n’a servi à rien, j’ai juste eu l’impression qu’ils ne m’écoutaient pas, que mon cas ne les intéressait pas. A chaque fois, la décision était prise à l’avance, probablement venue d’en haut. Le sort d’Alexeï Vetrov n’étonne guère Maksym Boutkevitch, responsable de l’ONG “Sans Frontière”Maksym Boutkevitch: Les gens sont partis de Russie pour l’Ukraine, pas en masse, mais de plus en plus vite, afin de demander l’asile ici. Ils étaient persécutés politiquement ou craignaient de l’être plus tard. Ils pensaient arriver dans un pays neuf, révolutionnaire, démocratique. Mais ils se sont rendus compte qu’en ce qui concerne l’asile politique pour les citoyens de la Fédération de Russie, rien n’a vraiment changé. Selon lui, le traitement des réfugiés russes est éminemment politique.Maksym Boutkevitch: On dirait vraiment que la règle tacite à l’office des migrations c’est de ne pas accorder le statut de réfugiés politiques aux citoyens russes. Pour des raisons qui nous échappent, je dois dire. L’ancien président Ianoukovitch ne voulait pas se fâcher avec le régime du Kremlin et donc n’acceptait pas les demandeurs d’asile. Mais les temps ont changé. Pourtant aujourd’hui on nous explique par exemple qu’il s’agit de protéger l’Ukraine contre l’arrivée d’espions russes. C’est complètement absurde, puisque les espions entrent en Ukraine de toutes les manières.A l’office des migrations à Kiev, Nataliya Naumenko est directrice du département des réfugiés. Elle se félicite d’un taux d’acceptation plus élevé qu’auparavant de réfugiés venus de Syrie. En ce qui concerne les demandeurs d’asile russes, elle a recensé 130 cas en 2014. 4 ont reçu le statut de réfugié, ce qui serait un bon chiffre.Nataliya Naumenko: Ce n’est pas un petit nombre. Ce sont des résultats objectifs de l’étude des dossiers de demande. Nous ne sommes pas fermés au dialogue. Si quelqu’un se plaint de notre décision auprès du Haut Représentant de l’ONU pour les réfugiés, alors on discute, et nous ré-examinons notre décision. Il s’avère que 99% de nos décisions sont avalisées par le Haut Représentant, donc on ne peut pas dire que nous n’accueillons pas beaucoup de personnes.Le Haut représentant de l’ONU pour les réfugiés ne commente pas la situation des demandeurs d’asile russes. Mais pour les ONG qui les accueillent, leur procure de l’assistance légale et s’efforcent de leur trouver logement et nourriture, il est clair que les autorités peuvent faire mieux. Alexandra Nazarova est elle-même citoyenne russe. Elle représente aussi l’ONG “Sans Frontières”.Alexandra Nazarova: Je veux vraiment que l’Ukraine devienne un pays d’accueil pour les demandeurs d’asile. Mais cela me paraît plus difficile aujourd’hui qu’il y a un an. Juste après la révolution, à la fin février de l’année dernière, début mars, il nous semblait possible de changer la situation. Aujourd’hui, on entend de plus en plus d’excuses du type: ce n’est pas le bon moment de parler des questions de droits de l’homme, à cause de l’occupation de la Crimée et du conflit à l’est; parlons-en plus tard. Mais c’est au contraire maintenant qu’il faut aborder ces questions. Pour la jeune femme, cette situation est l’un des exemples des promesses de changement qui n’ont pas été tenues après la Révolution. Pourtant, en raison d’un répression de l’opposition politique de plus en plus forte en Russie, il y a urgence selon le réfugié Alexeï Vetrov.Alekseï Vetrov: Nous sommes tous déboutés. Mais il faut comprendre que nous sommes déjà nombreux, et qu’il y en aura encore plus. Aujourd’hui, il y a déjà une centaine de Russes qui cherchent à obtenir le statut de réfugié. Mais je sais qu’il y en a aussi plus d’une centaine d’autres qui sont ici, sans papiers. Ils préfèrent ne pas se faire connaître, car ils savent très bien que leur demande se ferait rejeter. Pour Alekseï Vetrov, c’est maintenant le système D. Sans papiers, presque sans argent, il doit trouver des moyens de survivre. Malgré la précarité, malgré sa déception vis-à-vis de l’Ukraine post-révolutionnaire, rien ne le décidera à repartir en Russie.Ecouter le reportage ici

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