TDG: Un réseau de bénévoles ravitaille les soldats ukrainiens sur le front

Reportage publié dans La Tribune de Genève, le 17/11/2015

Depuis Kiev jusqu’à l’est du pays, des vans de volontaires récoltent matériel et nourriture offerts par de simples habitants.

«Alors, qu’est-ce que vous avez pour nos gars?» Avec entrain, Ivan X. se rend à la rencontre de deux femmes qui viennent juste de stopper leur voiture dans une rue mal éclairée. «Regardez, des varenikis (sorte de raviolis fourrés), des pâtisseries, du lait, des bocaux de jus fait maison», répond l’une d’entre elles en tirant des cartons de son coffre. «C’est bien. Là-bas, ils manquent de tout, ils ont vraiment besoin de votre bonne cuisine», assure Ivan en enfournant tous les paquets à l’arrière de son vieux van Volkswagen. Il ne s’attarde pas: en quelques minutes, après de nombreux vœux et encouragements à transmettre aux soldats mobilisés sur le front du Donbass, Ivan fait ronfler son moteur.Encore quelques arrêts de ce type dans des recoins improbables des banlieues de Kiev et le van prend la route de l’est. «Il faudrait faire ce voyage au moins deux fois par semaine, explique Elena Elinova, elle aussi volontaire. Mais nous n’avons plus assez d’argent… Au début de la guerre, les gens donnaient, mais aujourd’hui ils ont l’impression qu’il n’y a plus besoin.»12182892_1627772720830889_6948496548442284158_oUne armée précaireDepuis Kiev, le président Petro Porochenko répète à qui veut l’entendre qu’il a «développé la meilleure armée d’Europe», en partant de zéro au printemps 2014. Mais si les améliorations sont incontestables, tant en termes d’organisation que d’équipement militaire, les conditions de vie des soldats restent souvent précaires. A l’arrière du van sont éparpillés des bottes étanches, des sacs de couchage et quelques poêles. «Les volontaires ukrainiens nous aident beaucoup avec la nourriture. Mais pour acheter les bottes ou encore payer l’essence, nous dépendons largement de financements extérieurs. Là, c’est l’association France Ukraine Solidarité qui a mené une collecte de fonds pour payer ce voyage», précise Elena.Les mains agrippées au volant, en chantant à tue-tête des refrains de musique populaire ukrainienne, Ivan s’enfonce dans la nuit. «Il faut rouler de nuit pour être sûr d’arriver sur la zone de guerre en journée. La nuit, là-bas, c’est dangereux. C’est plus calme depuis le dernier cessez-le-feu, mais ils continuent à tirer à tout va.» Lui-même ancien combattant volontaire dans le sulfureux bataillon Aidar, il préfère aujourd’hui œuvrer en tant que bénévole. «Après qu’Aidar a été mis au ban par la hiérarchie, j’ai décidé de ne plus être soumis aux ordres de ces généraux. On ne peut pas leur faire confiance, sauf pour nous mener à la défaite…»Le festin de Baba LyubaA 2 heures du matin, le van s’arrête dans le jardin d’une petite maison de campagne, dans la région de Tcherkassy. Pavlo, yeux malicieux et barbe blanche, s’empresse de charger de nouveaux cartons dans le van, pendant que sa femme achève de dresser la table. Le festin de nuit que Baba Lyuba a préparé pour les volontaires, c’est une habitude qu’elle a prise à partir de l’été 2014. «Les premiers soldats sont venus chez nous presque par hasard. Si je ne les avais pas nourris, qui l’aurait fait?» Depuis, la table de Baba Lyuba est devenue une étape obligatoire des nombreux convois de volontaires ralliant le Donbass. «A l’époque, toute notre retraite y passait. Maintenant nous sommes aidés par des volontaires qui nous permettent de continuer à cuisiner. Notre seule récompense, ce sont ces drapeaux signés par les soldats du front. On les collectionne et ça nous suffit…»Le ventre plein, Ivan reprend le volant. C’est en clignant des paupières qu’il parvient la matinée suivante à sa première destination: un camp d’artilleurs dans la région de Donetsk. En vertu du retrait des armes lourdes du front, leurs canons sont couverts de toiles, au repos. Les soldats s’affairent, eux, à aménager leurs quartiers d’hiver. Cette année encore, c’est dans des tentes qu’ils devront résister aux températures hivernales.La torpeur des militairesIci non plus, Ivan ne s’attarde pas. Les étapes sont encore nombreuses, sur une route longue, délabrée, parsemée de postes de contrôle militaires. C’est à la nuit tombée que le van se gare devant une petite maison pleine de soldats. Ceux-là, Ivan les connaît bien. Alors il prend des airs de Père Noël, en distribuant pâtisseries, bouteilles de lait, bottes et un poste de télévision. L’accueil est chaleureux, même si l’arrivée des volontaires semble tirer les militaires d’une torpeur profonde. «Qu’est-ce qu’on s’ennuie ici!» s’emporte l’un d’entre eux.Une dizaine d’hommes se partage une vieille maison abandonnée par ses habitants. Une autre dizaine dort à l’extérieur, dans une tente chauffée par un poêle à bois. Les sanitaires ont été aménagés entre deux buissons. «Tout est calme, les relations avec les habitants du village sont bonnes, mais assez rares… La seule occupation que l’on a, c’est ce chien, devenu notre mascotte», explique un autre soldat en caressant un petit roquet qui traîne dans la cuisine.«Les soldats peuvent se battre et survivre, leur situation n’est pas complètement désespérée non plus, même s’il est incroyable que l’armée ne leur fournisse pas des bottes appropriées, commente Elena. Mais en plus de leur apporter toutes ces douceurs, l’essentiel c’est de leur montrer qu’on ne les oublie pas, qu’il y a des gens à l’arrière qui leur sont reconnaissants de défendre la patrie.» (TDG)

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