RFI: Le projet de tous les nids de poule
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 25/11/2015 C’est une région défavorisée et enclavée au sud du port d’Odessa, en Ukraine. La Bessarabie, agitée par des mouvances séparatistes. Pour remédier à la situation, le très énergique gouverneur de la région, Mikheil Saakachvili, l’ancien président de Géorgie, a un plan tout trouvé: reconstruire la route principale de la région. Un projet qui fait couler beaucoup d’encre, mais qui ne donne rien de très concret jusqu’à présent.La réputation des routes ukrainiennes n’est plus à faire: peu ou pas entretenues depuis l’indépendance du pays en 1991, victimes d’une corruption endémique, elles sont délabrées, défoncées et dangereuses. Un voyage à travers le pays revient le plus souvent à un jeu de zig-zag entre les nids de poule. Alors pour un réformateur comme Mikheil Saakachvili, gouverneur de la région d’Odessa depuis mai dernier, le projet d’une nouvelle route s’est imposé de lui mêmeMikheil Saakachvili: Notre priorité, c’est évidemment de reconstruire la route entre Odessa et Reni. Aujourd’hui, c’est une route délabrée et dangereuse. Si nous la reconstruisons rapidement, nous pouvons désenclaver la région et attirer des investisseurs. Odessa-Reni, c’est une route nationale qui traverse la région du nord au sud. Ce n’est pas la plus importante des routes commerciales, mais elle constitue un axe stratégique qui relie Odessa à la capitale roumaine, Bucarest. Selon le ministère des infrastructures, le tronçon ukrainien représente 350 kilomètres: seuls 28 kilomètres sont en bon état, tout le reste est à reconstruire.Mikhaylo Titarchuk: Si nous voulons vraiment développer notre région, il faut construire cette route. Parce qu’il faut s’imaginer que pendant 24 ans, rien n’a été fait pour les routes. Et les gens en souffrent. J’ai travaillé en Afrique, et j’ai pu constater que là-bas, la situation est bien meilleure.Mikhaylo Titarchuk est le chef du département de Bilhorod Dnistrovskiy, situé dans le premier tiers de la route Odessa-Reni.Mikhaylo Titarchuk:
- Si vous partez au nord, vers la frontière de la Moldavie, ce n’est pas possible. Avec la voiture, c’est une horreur…
- Là c’est la fin du monde, c’est ce que vous voulez dire…?
- (Rires) Oui.
Ce jeune Ukrainien a interrompu sa carrière dans des prestigieuses organisations internationales pour rejoindre l’équipe de Mikheil Saakachvili et contribuer à moderniser son pays. Mais ça ne va pas de soi.Mikhaylo Titarchuk: Parce que quand tu parles avec les gens qui vivent là-bas, ils disent “ok, oui, c’est bien, mais on ne voit pas de résultats”. Si nous voulons changer l’esprit, il faut d’abord faire la route. Et après on pourra faire autre chose. Mais pour l’instant, c’est dur. Changer les esprits, cela veut dire gagner les coeurs d’une population délaissée par le pouvoir central, très sensible à la propagande russe. Il y a quelques mois s’y étaient développés des groupes séparatistes, appelant à la création d’une république populaire qui réunirait les territoires de la Gagouzie, dans la Moldavie voisine. Autant dire que la route comme vecteur d’un développement économique qui aiderait à apaiser les tensions séparatistes, c’est une priorité.Tout au sud de la Bessarabie, dans le delta du Danube, la petite ville de Vilkove est en partie construite sur des pilotis: on la surnomme la petite Venise d’Ukraine. Ici, le développement économique, cela voudra dire plus de tourisme, comme l’espère le maire Matviy IvanovMatviy Ivanov: Cela sera très intéressant pour nous. La route passera à seulement 35 kilomètres d’ici, cela changera tout pour nous. Aujourd’hui, même les touristes ukrainiens ne veulent pas venir à Vilkove parce qu’ils ont peur de casser leur voiture. Avec une nouvelle route, ce sera vraiment une autre histoire, car nous avons tellement de choses qui peuvent attirer les visiteurs. Malgré tout, la reconstruction de la route est un sujet controversé. Mikheil Saakachvili est engagé dans une guerre ouverte contre le Premier ministre Arseniy Iatseniouk. Il accuse le gouvernement de détourner les fonds prévus pour la construction de la route, qui traîne en longueur. De plus, nul ne sait combien de temps l’impulsif Mikheil Saakachvili va rester au poste de gouverneur, et si le projet survivrait à son départ.Alors pour le chauffeur de camion Nikolaï, il n’y a pas d’illusions à se faire.Chauffeur Nikolaï: On n’y croit pas, à ce projet. C’est un mensonge. Lui fait la queue au poste-frontière de Reni, pour passer en Moldavie et ensuite en Roumanie. Il emprunte la route jusqu’à Odessa plusieurs fois par semaine. Et des promesses de projets, il en a entendu beaucoup.Chauffeur Nikolaï: Ca prend entre 7 et 8 heures de voyage. La route est horrible, on n’arrête pas de casser les camions. Et ils ne vont rien changer: ce ne sont que des voleurs. Des Voleurs! Bien loin des discours politiques, la population de Bessarabie attend des changements concrets. Ici, pas besoin de révolution. Juste des changements simples, comme pouvoir rouler normalement, sans avoir à utiliser les bas-côtés pour éviter les nids de poule.Ecouter le reportage ici