RFI: La Crimée toujours sans électricité
Séquence dans l'émission "Bonjour l"Europe", le 06/12/2015 Déjà deux semaines, depuis le 21 novembre, que la péninsule de Crimée est privée d’électricité. Des saboteurs encore non-identifiés avaient fait exploser des pylônes de lignes à haute tension menant de l’Ukraine à la péninsule, pour protester contre son annexion illégale par la Russie en mars 2014. Ce sont plus d’un million de personnes qui se retrouvent dans le noir. Et la situation dégénère en une nouvelle crise entre l’Ukraine et la RussieDeux semaines après, comment expliquer que la Crimée soit toujours sans électricité? C’est assez simple: les équipes de réparation des lignes à haute tension sont physiquement bloquées par des militants qui organisent un véritable blocus de la péninsule. Ces militants, ce sont des Tatars de Crimée, et des groupes para-militaires nationalistes, tels que le fameux groupe Praviy Sektor. Ils avaient entrepris un blocus alimentaire de la péninsule, en bloquant les camions de marchandise, depuis le mois de septembre. Tout simplement, ils avaient établi des barrages sur les trois seules routes d’accès à la Crimée.Maintenant, ils opèrent un blocus énergétique. Selon les derniers rapports, les militants empêchent même les voyageurs en voiture de transporter des générateurs électriques de l’Ukraine vers la Crimée.En fait, une des lignes à haute tension a déjà été réparée, mais il semble que le gouvernement ukrainien ne peut pas, ou ne veut pas, reprendre les approvisionnements. C’est une question très politique. Pour Kiev, la Crimée est partie prenante de l’Ukraine, donc le gouvernement ne semble pas disposé à faciliter la vie des populations de Crimée qui ont choisi de vivre avec les occupants russes.Mais justement, ces populations, comment survivent-elles? Et bien, à la chandelle! Vous pouvez vous imaginer ce que ça veut dire de ne pas avoir d’électricité en plein hiver. Selon mes contacts sur place, toute la vie et l’économie de la péninsule s’arrêtent à la tombée du soleil. Les rues sont désertes la nuit, les magasins et les écoles fermés. Les gens ont encore du chauffage, qui est principalement au gaz. Mais malgré tout, un rare tigre de Bengale est mort dans un zoo local, à cause du froid. En soi, la population ne se retrouve pas dans des conditions dangereuses, et j’ai même lu dans des médias russes que l’on pouvait s’attendre, à cause du black-out, à une sorte de baby-boom en Crimée! Là-dessus, réponse dans neuf mois…En tous les cas, ce black-out fait la une des journaux, et cela renforce le ressentiment des populations de Crimée contre les Ukrainiens; ce qui est un effet contre-productif de ce que les instigateurs du blocus pouvaient espérer.D’autant que les Russes de Russie ont mis en oeuvre un vaste plan d’aide, qui a consisté à importer des générateurs d’électricité, mais aussi à mettre en place quatre lignes à haute tension d’urgence, qui passent sous la mer. L’une d’entre elles est déjà en fonction, les autres ne vont pas tarder à l’être. On prévoit d’ailleurs que quelques écoles pourraient rouvrir dès demain lundi. En fait, si la population attend une solution, c’est bien de Moscou, et pas de Kiev. C’est encore un signe de plus que la Crimée coupe les liens avec l’Ukraine. Et ça renforce aussi les tensions.Oui, la Russie a réagi par ses propres mesures de rétorsion contre l’Ukraine…? Tout à fait: ce sont des armes classiques: un arrêt des livraisons de gaz naturel, officiellement pour cause de non-paiement de facture, et un embargo sur les livraisons de charbon. Le Kremlin fait aussi pression sur Kiev pour obtenir le remboursement d’un prêt de 3 milliards de dollars que l’Ukraine doit rembourser d’ici le 20 décembre. Et pour couronner le tout, on assiste à un regain de violence sur le front du Donbass, avec une recrudescence d’échauffourées meurtrières.Alors, ce regain de tensions, c’est un peu dans l’ordre des choses, puisque la Russie et l’Ukraine sont dans un état de guerre depuis presque deux ans maintenant. Mais il est très difficile de prévoir jusqu’où cela peut aller. Ni Moscou, ni Kiev, ne semblent prêts au dialogue, et les militants ukrainiens qui tiennent ce blocus de la Crimée affichent leur détermination, et ce jusqu’à ce que la Crimée revienne à l’Ukraine; ce qui ne semble pas du tout envisageable à l’heure actuelle.