RFI: Odessa, son port, sa corruption
Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 16/12/2015Le changement en Ukraine, ça passe aussi par une réforme des douanes à Odessa. En mer Noire, les trois ports de la ville sont les plus grands et les mieux situés. Mais, ils sont désormais boudés par les cargos et transporteurs de containers, car la corruption mine le service des douanes. Le nouveau gouverneur d’Odessa, l’ancien président géorgien Mikheil Saakachivilli, s’est attelé à ce nouveau combat. Non sans mal. Depuis la promenade du bord de mer d’Odessa, la vue qui s’offre au badaud, ce sont des grues grinçantes, des entrepôts rouillés, et quelques bateaux. Le paysage du port d’Odessa et de ses infrastructures post-soviétiques, paraît tiré tout droit d’un décor de film historique. L’impression est d’autant plus lunaire qu’elle est encadrée par une route surélevée, sur laquelle on devine les allers et venues de camions, qui évacuent les marchandises du port vers des centres de dédouanement.Le principal centre, c’est celui de l’EuroTerminal, ouvert en 2011. Son directeur général, Oleksiy Majarine.Alexeï Majarine: Avant que cette route directe soit construite, les camions de marchandises empruntaient l’équivalent de 120 kilomètres de route à travers la ville, entre le port et le centre de dédouanement. Maintenant, c’est entre 15 et 20 kilomètres. Avant que l’Euroterminal soit construit, les formalités de traitement des marchandises pouvaient prendre plus de 20 heures. Maintenant, c’est 2 heures. Donc le traitement des marchandises au port d’Odessa est efficace.Selon la plupart des estimations, le dédouanement dure plutôt 4 ou 5 heures, et l’Euroterminal n’est pas si efficace que cela. Depuis 2011, il est perçu dans les médias comme un trou noir de la corruption, en raison de liens supposés avec l’ancien régime de Viktor Ianoukovitch. Malgré cela, la société Euroterminal n’est pas directement mise en cause, mais bien plutôt les douaniers qui opèrent à l’entrée du centre de traitement.Dernière affaire en date; en octobre 2015. Une société d’import-export a du se débattre dans l’Euroterminal avec les services de douanes pendant plus de 30 heures. Les douaniers ont exigé pas moins de trois inspections. A chacune d’entre elles, la société a du payer les frais d’utilisation de l’Euroterminal, et les pourboires qui vont avec. Ce n’est qu’une intervention en haut lieu qui a mis fin aux inspections à répétition.Le directeur Oleksiy Majarine refuse de commenter cette l’affaire. Mais il accuse les douanes ukrainiennes de sérieusement compliquer son business.Alexeï Majarine: C’est à cause de la situation dans les douanes. Comparé à 2013, nous accueillons entre 30% et 40% de cargos de moins. Ceux-ci se redirigent aujourd’hui vers d’autres centres de dédouanement, comme Kiev ou Dnipropetrovsk. C’est moins cher même d’aller à Kharkiv, à 600 kilomètres au nord, parce que là-bas, l’officier des douanes leur proposera un rabais sur le bakchich que l’affréteur doit payer. D’après ce que j’ai entendu, la différence de bakchich peut être entre 3 et 5 fois plus cher à Odessa qu’à Kiev!Selon Oleksiy Majarine, Euroterminal a perdu 50% de son trafic depuis 2013. La crise économique n’aide pas. Mais ce sont bien les douanes qui découragent de nombreuses sociétés de jeter l’ancre à Odessa.Aussi la jeune Ioulia Marouchevska, la nouvelle chef des douanes nommée par le gouverneur Mikheil Saakachvili, a du pain sur la planche.Ioulia Marouchevska: Nous devons changer le système, qui corrompt nos fonctionnaires et créé de nombreux problèmes pour les affréteurs. Pour résumer, le mode de fonctionnement des douanes est si compliqué que cela ouvre la possibilité de demander des bakchichs.En ligne de mire: des procédures désuètes, des exigences de paperasses à n’en plus finir, et des permis injustifiés. Ioulia Marouchevska ne peut pas avoir une influence directe sur les changements législatifs, à Kiev. Mais à son échelle, à Odessa, elle doit commencer par le plus basique.Ioulia Marouchevska: Ce que je peux changer à mon niveau? C’est avant tout l’attitude vis-à-vis des entreprises. Il faut leur faire comprendre que nous sommes ici pour les accueillir et faciliter le transit de marchandises. Que nous sommes ici pour les servir. Nous donnons un certain temps à nos employés pour comprendre ce changement. Et notre prochain objectif sera de construire un nouveau centre de dédouanement, dont les employés seront sélectionnés grâce à un concours très sélectif.Oleksandr Zakharov, un spécialiste des ports d’Odessa et militant anti-corruption, très actif depuis des années. Il est très prudent face aux changements en cours.Oleksandr Zakharov: L’équipe de réformateurs de Saakachvili veut obtenir des résultats concrets. Ce n’est pas aussi rapide qu’on le souhaiterait, car ils rencontrent beaucoup de résistance, à la fois à l’intérieur des douanes mais aussi dans les ministères à Kiev. Les réformateurs travaillent dans un contexte très tendu, et on ne peut qu’espérer qu’ils obtiennent des résultats prochainement.Les résistances à Kiev sont autant bureaucratiques que politiques, instrumentalisées par le conflit ouvert entre Mikheil Saakachvili et le Premier ministre Arséni Iatseniouk. Mais pour Oleksandr Zakharov, il y a urgence. La corruption est telle dans les douanes des ports d’Odessa que certains affréteurs préfèrent se diriger vers des ports russes ou roumains, et acheminer leur cargaison par la route vers l’Ukraine.Ecouter le reportage ici