RFI: L'amour des Ukrainiens pour leur nouvelle police

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 24/02/2016C’était le genre de rassemblement que l’on ne voit pas tous les jours. Le dimanche 21 février, un millier d’Ukrainiens se sont réunis dans le centre de Kiev pour marquer leur soutien à la nouvelle police de patrouille urbaine, et par là-même, au processus de réforme des forces de l’ordre.IMG_3839Ca paraît assez irréel, des citoyens qui se rassemblent pour soutenir leur police, quelle en était la raison…? Oui, même les organisateurs de la manifestation que j’ai rencontré ce dimanche n’en croyaient pas leurs yeux. Le rassemblement avait été initié sur les réseaux sociaux, et a attiré des jeunes, des familles. C’était assez bon enfant. Il y avait quelques pancartes ici et là, un peu de musique.Mais quand même sur un sujet sérieux. La raison première du rassemblement, c’est un drame qui s’est produit dans la nuit du 7 février. Une patrouille de police donne la chasse à toute allure dans les rues de Kiev à une voiture. Le jeune conducteur est sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants, il refuse de s’arrêter. Un policier tire sur le véhicule, et tue un des passagers, un jeune homme de 19 ans. L’officier est arrêté et emprisonné pour deux mois. A-t-il bien agi? Est-ce une bavure? Ou un crime? La question mérite d'être posée par des enquêteurs professionnels. Mais l'enquête passe au second plan d'un esclandre qui se déclenche aussitôt dans les médias et les réseaux sociaux.Le ministre de l'intérieur Arsen Avakov et la vice-ministre Eka Zguladze, qui est à l'origine de cette nouvelle police, montent au créneau. Eux et la société civile refusent de reconnaître le moindre tort à l'officier de police. Cette manifestation, c’était pour le soutenir, car les manifestants estiment qu’il n’a fait que son devoir. Ils dénoncent une enquête bâclée et une décision du tribunal comme une tentative d’affaiblir l’autorité de la nouvelle police.Pourquoi le tribunal voudrait faire cela? Parce que cette nouvelle police ne fait pas plaisir à tout le monde. A Kiev, les officiers ont pris leurs fonctions en été 2015. Ils sont jeunes, bien entraînés, bien payés, et très populaires: ils ont été surnommés la “police selfie” à cause de toutes les photos qu’ils acceptent de prendre avec la population. Ils sont brandis comme le nouveau visage de l’Etat moderne ukrainien, en opposition à une ancienne police de la route, post-soviétique, brutale et corrompue. Sur les réseaux sociaux, la course-poursuite a d’ailleurs été saluée par beaucoup d’Ukrainiens, tout simplement parce que c’était… pas du jamais vu, mais en tout cas, inédit! L’ancienne police ne se donnait en général pas la peine de poursuivre des délinquants en fuite.Mais en parallèle de cette nouvelle police, la plupart des autres unités du ministère de l’intérieur et du système judiciaire restent en place, ce qui pose de gros soucis. Imaginez que vous avez ces fonctionnaires en place depuis des années, sous-payés, habitués à des arrangements informels… qui doivent maintenant cohabiter avec ces jeunes policiers. Cela créé des frictions.Donc le soutien des manifestants à la police, ce n’est pas vraiment à la police, mais bien au nouveau système contre l’ancien…? Exactement. Beaucoup d’Ukrainiens voient bien que le processus de réformes est lent et contrarié par énormément d’obstacles politiques et administratifs. La corruption est toujours endémique. La nouvelle police, c’est l’un des résultats les plus concrets des réformes engagées, alors ils la défendent. Mais ce n’est pas assez, et les citoyens réclament plus de changements.Les nouveaux policiers sont bien beaux, mais ils ont des prérogatives très limitées. Par exemple, ils peuvent verbaliser une voiture mal garée, mais ils ne peuvent pas ordonner son enlèvement! On comprend que la réforme n’a pas été assez loin.En parallèle de cette manifestation, je vois des initiatives de soutien ailleurs dans le pays. A Lviv, dans l’ouest du pays, un citoyen volontaire, avec une bonne connaissance des armes à feu, a pris sur lui d’organiser des entraînements gratuits pour les policiers en dehors des heures de service. Ils s’entraînent aux courses poursuites et aux tirs de semonce à grande vitesse, avec des balles de peintures. C’est très apprécié sur les réseaux sociaux. Je ne sais pas dans quel autre pays d’Europe les gens se réjouiraient d’apprendre à leurs policiers à tirer comme ça. Mais en Ukraine, cela traduit un besoin de changement, toujours bien réel.Ecouter la séquence ici

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