RFI: Requiem d'opéra, du Donbass à Paris
Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 02/07/2016Qu’en est-il de la guerre dans l’est de l’Ukraine? Depuis la signature des accords de Minsk en février 2015, le conflit a disparu des radars médiatiques. Mais des affrontements se poursuivent sur des points chauds du front entre les forces armées ukrainiennes et les forces pro-russes et russes. Et les morts y sont fréquentes. Ainsi le 29 juin y est mort un volontaire ukrainien, qui avait été baryton d’opéra à Paris pendant une vingtaine d’années… Sébastien, la mort de ce baryton a provoqué une vague d’émotion assez forte…? Oui, de Paris à Kiev et au Donbass, Vasyl Slipak, 41 ans au moment de sa mort, avait fait beaucoup parler de lui. Il était originaire de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, et avait été repéré par l’opéra Bastille de Paris au milieu des années 1990. Il y entame une carrière de baryton qui va l’emmener sur les grandes scènes françaises pendant des années. Jusqu’en 2014, quand il prend fait et cause pour la Révolution ukrainienne. Il se démarque alors dans plusieurs évènements de soutien à l’Ukraine et de dénonciation de l’agression russe, de par sa voix, mais aussi de son caractère en acier trempé. Jusqu’au moment où il abandonne sa carrière et son confort français pour se porter volontaire sur le front de l’est.Et là aussi, il se fait remarquer, dans des interviews dans les médias ukrainiens, il chante “Toréador, Prend garde” de Carmen et autres chants d’opéra tout en se rendant sur le front, harnaché pour le combat et le visage masqué. Vasyl Slipak était un personnage de sensation, jusqu’au 29 juin au matin, où il est fauché par une balle de tireur d’élite tirée des lignes séparatistes pro-russes.Sa mort rappelle donc que la guerre n’est pas finie…? Tout à fait. C’est là le point qui fait l’unanimité. Au sein des communautés franco-ukrainiennes qui le connaissaient, on voit ressurgir des discussions sur l’utilité d’avoir quelqu’un comme Vasyl Slipak sur le front plutôt que dans des activités de coordination d'aide depuis la France. On s’interroge aussi sur l’ultra-nationalisme supposé d’un personnage qui a combattu dans les rangs des formations controversées de Praviy Sektor - Secteur Droit - et Azov. Ses défenseurs avancent que Vasyl Slipak était néanmoins modéré sur de nombreux points, notamment la lutte contre l’homophobie. Ces questions sont évidemment très complexes. Notons ici que des personnages haut en couleur et des personnalités controversées, il y en a beaucoup dans ce conflit, d’un côté ou de l’autre de la ligne de front.Mais ce qui est évident, c’est que la mort de Vasyl Slipak rappelle qu’il n’y a jamais eu de paix dans le Donbass. Les échauffourées sont quotidiennes, et des gens meurent chaque semaine, des deux côtés de la ligne de front. Selon l’ONU, le bilan humain ne cesse de s’alourdir, à plus de 9500 morts depuis 2014.Mais pourtant, les accords de paix de Minsk de février 2015 sont censés avoir ouvert une phase de réconciliation politique, non? Mais vous savez, ils sont morts-nés, ces Accords de Minsk! Pour une première raison, bien simple, c’est que le cessez-le-feu n’a jamais été totalement respecté, pas même que la démilitarisation de la zone de combat. Même la chancelière allemande Angela Merkel l’a constaté récemment. Et la faute en incombe à toutes les parties en présence, il faut le rappeler, aux dépends d’une population civile toujours plus fragilisée.Et en plus, pour terminer, on parle ces jours-ci d’une escalade des violences, pour des raisons diverses et variés. J’étais il y a deux jours avec une volontaire qui venait de ravitailler des postes de soldats ukrainiens sur le front, et elle décrivait une situation catastrophique, et sa peur de combats intensifs pendant l’été. Dans ce contexte, la mort de Vasyl Slipak n’en est qu’une parmi d’autres, mais elle pourrait aussi servir d’avertissement en vue d’une recrudescence des violences…