RFI: Nouvelle fuite de Donetsk

Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", le 07.08.2016Nouveau scandale affectant la liberté de la presse en Ukraine. Une liste de plus de 1300 e-mails et leurs nombreuses pièces jointes, fruits d’échanges entre le service de presse de la république populaire autoproclamée de Donetsk, et des dizaines de journalistes, a été publiée sur Internet. Une source d’information précieuse pour comprendre les rouages de l’administration séparatiste. dnr_flag_by_avt_cccp-d8e4iz5Sébastien, vous êtes vous-même mentionnés dans ces échanges de mails… de quoi s’agit-il? Ce n’est pas seulement que je suis mentionné, mais ce sont les mails que j’avais envoyé au service de presse de Donetsk qui se retrouvent désormais étalés sur la place publique. L’un d’entre eux, c’était pour demander une accréditation de journaliste en septembre 2015. Il y a un commentaire en anglais, traduit en russe, qui explique pourquoi il faut me refuser cette accréditation. Pour faire simple, c’est parce que le service de presse n’était pas certain que je réalise des reportages de promotion de leur République, mais plutôt que j'analyse ce que j’allais trouver sur place avec un regard critique. Moi, et de nombreux autres journalistes, sommes sur liste noire depuis de longs mois. Nous ne pouvons plus retourner en territoire séparatiste. Nous ne pouvons plus y faire notre travail.13936910_1063949980320444_602620448_nPour beaucoup de mes collègues, ukrainiens, russes ou autres, les justifications de refus sont encore plus simples. “Russophobe”, “Ukrainophile”, “pro-OTAN”... Un journaliste est décrié pour parler de la présence de “chars russes” dans l’est de l’Ukraine, alors que Donetsk nie toute intervention de la Russie. Un autre décrit les séparatistes comme des… séparatistes, ce qui est visiblement un terme qui énerve, à Donetsk. Et pourtant la guerre, qui a déjà couté la vie à plus de 10000 personnes vise, entre autres, à créer un Donbass indépendant de l’Ukraine.Pourquoi une telle fuite? C’est un mystère. A la base, c’est un post d’un compte Twitter, censé appartenir à la chef du service de presse de Donetsk, qui publie un lien vers la fuite de mails, le 3 août. “Je ne veux plus mentir”, écrit-elle sur son message. Mais rien ne permet de certifier que ce soit elle qui est vraiment à l'origine de ce scandale. Alors chacun y va de sa petite théorie sur les vraies raisons de la fuite. Il est difficile d’y voir clair.tweet-initialMais ce que l'on voit d'ores et déjà, c’est que ces documents, aussi parcellaires soient-ils, fournissent des indications inédites sur les méthodes de fonctionnement du service de presse à Donetsk, et de l’administration séparatiste en général. Les journalistes étrangers sont surveillés par une cellule internationale dirigée par un Finlandais, Janus Putkonen. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, ce sont des Français qui le secondent en majorité. Des Français aux histoires… rocambolesques, c’est le moins que l’on puisse dire.Leur but, c’est de gagner la guerre de l’information. Ce qui passe par contrôler les journalistes, mais aussi chercher des soutiens à l’étranger, attirer des délégations politiques en territoires séparatistes. On découvre notamment un courriel de Pascal Ellul, président des jeunes de la droite populaire, Les Républicains, qui assure la république auto-proclamée de tout son soutien, et fait part de son désir de se rendre à Donetsk en visite officielle… Donc toute une machine de promotion, voire de propagande, qui accompagne l’établissement des structures de cet embryon Etat auto-proclamé dans l’est de l’Ukraine.Pourquoi cela est-il considéré comme une nouvelle atteinte à la liberté de la presse? Alors, déjà il y a le refus des accréditations de la part de la DNR, qui est un déni de la liberté de la presse assez flagrant. Cela rentre malgré tout dans la logique du conflit, il faut le préciser. Dans les premiers mois de la guerre du Donbass, les journalistes pouvaient aller et venir pour travailler dans un camp ou un autre. Ce n'est plus le cas, et, à ce titre, le conflit ressemble de plus en plus aux autres guerres. Il faut choisir une base de travail, sur un côté précis de la ligne de front, et s'y tenir.Mais aussi avec cette fuite, les données personnelles de centaines de journalistes, adresses e-mails, scans de passeports, se retrouvent encore étalées sur la place publique. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Et puis il y a le contexte à Kiev. Cette fuite a été divulguée le jour suivant la démission de la vice-ministre de l’information, pour protester contre les attaques contre les journalistes, qui restent impunies. A la fin juillet, un célèbre journaliste d’investigation a été assassiné en plein centre de Kiev. L'Ukraine n'est pas l'environnement le plus facile pour les journalistes. Malgré cela, il n'y a aucune réaction de la part des dirigeants du pays, ni même aucune assurance que l’Etat pourrait garantir la sécurité des journalistes de guerre et la liberté de la presse. Pas de réaction, rien.Une des théories sur l'origine de cette fuite implique que les services secrets ukrainiens ont orchestré le scandale. C'est impossible à vérifier. Mais l'absence des réactions des dirigeants ukrainiens n'augure rien de bon. A Kiev, on est encore loin de Donetsk; et le Président Petro Porochenko rappelle de temps en temps que l’Ukraine est un pays libre où les journalistes peuvent travailler sans pressions. Mais ce que la communauté de journalistes demande, ce sont plus des engagements et des actes que des discours.

Previous
Previous

France Culture: Hystérie et Inquiétudes à Kiev

Next
Next

TDG: La tentation solaire de Tchernobyl