RFI: Torture & prisons secrètes en Ukraine

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 22/09/2016Alors que le conflit perdure dans l’est du pays près de la frontière russe, les échauffourées sont quotidiennes et meurtrières, les exactions sont nombreuses. Arrestations et détentions arbitraires se multiplient des deux côtés. Rares sont les victimes qui osent témoigner. Mais Mykola Vakaruk lui a franchi le pas… Il a passé 590 jours dans une prison secrète et il raconte.screen-shot-2016-09-23-at-14-18-22Mykola Vakaruk n’est plus que l’ombre de lui-même. En 2014, il pesait environ 90 kilos. Aujourd’hui, il  en pèse à peine 60, après avoir passé presque deux ans dans une prison secrète des services de sécurité d’Ukraine.Mykola Vakaruk: Je n’ai jamais caché ma désapprobation du nouveau pouvoir à Kiev. Le pouvoir qui est arrivé après le Maïdan était illégal. En dehors de quelques manifestations et provocations, Mykola Vakaruk n’avait pas pris les armes. A cause d’une blessure à la jambe, il n’avait même pas pris part au référendum illégal sur l’indépendance du Donbass, le 11 mai 2014.Mais ses idées ont suffi pour qu’il soit arrêté chez lui, en décembre 2014. Commence alors une série d’interrogatoires musclés, pour lui et quelques comparses.Mykola Vakaruk: On entendait une femme hurler dans la pièce voisine, c’était Margarita Schmakova ma collègue, qui était torturée. Les officiers m’ont demandé si je voulais qu’ils fassent crier ma femme de la même manière. Et là, j’ai accepté d’écrire ce qu’ils me dictaient. Que j’étais un informateur pour l’artillerie des séparatistes, que je transmettais des informations sur les mouvements des troupes ukrainiennes… J’ai tout dit devant une caméra. Une fois les aveux enregistrés, Mykola Vakaruk est transféré vers un centre de détention secret, qui sera par la suite identifié comme les locaux des services de sécurité d’Ukraine, à Kharkiv, grande ville de l’est. Il y est incarcéré avec des dizaines d’autres, dans des conditions très rudes.Mykola Vakaruk: Les gardes nous tourmentaient chaque soir. Ils déposaient des produits chimiques dans nos assiettes, ils nous trainaient au sol dans les couloirs, en pointant leurs pistolets sur nos têtes, en nous traitant de séparatistes… A cause des conditions de détentions épouvantables qui dégradent son état de santé, il doit subir une opération grave : l’ablation d’un rein. Il est hospitalisé pendant un mois, sous un faux nom, avec l’interdiction de parler à quiconque.Pour Krassimir Yankov, membre d’Amnesty International, ce traitement relève d’une pratique très ancrée chez les belligérants.Krassimir Yankov: Son cas est l’un des plus marquants, mais nous avons étudié de nombreux abus commis par les forces militaires ukrainiennes et les séparatistes pro-russes. Nous avons relevé des arrestations arbitraires, des détentions au secret, des actes de torture lors des interrogatoires…Amnesty International et Human Rights Watch publient un long rapport en juillet sur les prisons secrètes ukrainiennes. Quelques jours plus tard, Mykola Vakaruk et 13 autres détenus sont libérés, sans explication.Mykola Vakaruk: Ils nous ont conduit à Kramatorsk, dans le nord du Donbass. Ils nous ont donné 100 hryvnias, soit 3 euros, et des documents. Nous avons essayé d’appeler chez nous, mais tout le monde au village nous avait déjà enterrés, à part ma femme qui ne voulait pas y croire. Personne n’y a cru quand nous sommes revenus. Depuis, Mykola Vakaruk essaie de se reconstruire et réapprendre à vivre . Mais tout ne va pas de soi, comme il l’explique lors d’une seconde conversation, par téléphone. Il est stigmatisé et désigné comme complice des séparatistes.Mykola Vakaruk: Il y a encore beaucoup de problèmes. Par exemple, le 11 septembre, je me suis fait arrêter à un barrage routier. Ils voulaient m’emmener pour un interrogatoire, mais j’ai appelé mon avocat et des journalistes et ça s’est arrangé. Ils m’ont juste donné un avertissement. Mais un avertissement pourquoi? Je ne comprends pas. Mykola Vakaruk tente d’obtenir justice pour les torts causés. Mais les difficultés sont nombreuses comme l’explique le militant des droits de l’homme Krassimir Yankov.Krassimir Yankov: Seules quatre personnes ont choisi de porter plainte et de demander justice pour ce qu’ils ont enduré. Les autres ont peur. Une des grandes victimes du conflit dans l’est de l’Ukraine, c’est le respect de l’Etat de droit.Quelque soit le côté de la ligne de front, la possibilité pour ces victimes d’abus d’obtenir justice sera néanmoins l’une des conditions pour imaginer un avenir apaisé; et entamer, une fois le moment venu, un processus de réconciliation.Ecouter le reportage ici
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