LLB: Entre UE et Ukraine, le désamour?

Article publié dans La Libre Belgique, le 06/10/2020

Le président Zelensky est à Bruxelles pour le sommet avec l’UE. Un rapport d’étape de l’intégration européenne du pays, toujours en état de guerre contre la Russie. Des tendances antiréformatrices à Kiev inquiètent.

“Votre président voulait que ‘les enseignants reçoivent de vrais salaires’ et les fonctionnaires corrompus, ‘des vraies peines de prison’. 17 mois après son élection, force est de constater que cette vision se fissure”. Dans une lettre ouverte à David Arakhamia chef du parti “Le Serviteur du Peuple” de Volodymyr Zelenskyy, l’eurodéputée Viola von Carmon n’y va pas par quatre chemins: l’état des réformes et de la lutte anti-corruption est si préoccupante en Ukraine qu’il pourrait remettre en cause le soutien financier occidental et même la libéralisation du régime de visas Schengen pour les citoyens ukrainiens. Et si la situation est aussi préoccupante, c’est en partie “à cause d’élus de la majorité présidentielle”.

L’eurodéputée n’en est pas à sa première déclaration alarmante sur l’Ukraine. L’équipe de Volodymyr Zelenskyy, élu sur un raz-de-marée dégagiste et la promesse d’une transformation en profondeur du pays, se défend de toute faute. Les propos de Viola von Carmon sont néanmoins partagés dans les milieux diplomatiques occidentaux et la société civile ukrainienne. “Ces derniers six mois, nous observons un changement d’humeur de la part de l’exécutif, “note Tetiana Shevtchouk, experte au centre d’action contre la corruption (Antac). “Pas uniquement dans le domaine de la lutte anti-corruption mais en général”.

En mars, Volodymyr Zelenskyy a saqué un procureur général réputé incorruptible et un gouvernement qui, bien qu’inexpérimenté, avait adopté quantité de lois audacieuses en “régime turbo”. Beaucoup de renvois ont suivi: dans les impôts, les douanes, ou encore la banque centrale. Les remplaçants sont pour beaucoup critiqués pour des affaires passées ou leur proximité avec l’ancien régime autoritaire de Viktor Ianoukovitch, évincé par la révolution de 2014. Dans ce revirement de l’exécutif qui reste encore inexpliqué, se distinguent donc des tendances revanchardes, désireuses de revenir à une pratique de la politique pré-révolutionnaire.

L’équipe Zelenskyy peut certes se targuer de succès concernant des changements sectoriels et rejeter ses erreurs sur un contexte difficile. Mais l’impossibilité de réformer le système judiciaire et les attaques contre l’intégrité des organes anti-corruption inquiètent fortement. “Des oligarques se sont alliés à des forces pro-russes pour tout démanteler et garantir leur impunité”, commente Anastasia Radina, cheffe du comité parlementaire anti-corruption. Elle ne compte plus les initiatives législatives et judiciaires visant à placer les institutions de lutte contre la corruption sous contrôle politique. Plusieurs votes ont associé des élus du parti présidentiel à des formations pro-russes et corrompues.

La procureure générale Iryna Venedyktova est elle-même pointée du doigt pour ses choix d’adjoints à la réputation sulfureuse, ou pour des décisions opaques. En septembre, elle a par deux fois rechigné à ouvrir des enquêtes contre des députés de la majorité, pourtant pris la main dans le sac, vidéos à l’appui, en acceptant des bakchichs. Iryna Venedyktova pousse en revanche de manière active les 39 poursuites ouvertes contre l’ancien président Petro Porochenko. Son dynamisme sélectif lui attire des soupçons de persécution politique.

Aussi pour Dmytro Solohub, directeur adjoint de la banque centrale, les craintes occidentales sont justifiées. Parce qu’elle ne répond plus aux critères du FMI, l’Ukraine a selon lui perdu l’occasion de recevoir deux tranches d’un programme d’aide de 4,2 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. “Nous essayerons d’en obtenir au moins une une”, espère-t-il. Un diplomate européen à Kiev fait lui aussi valoir “la conditionnalité” du soutien de Bruxelles comme un levier de pression efficace sur le gouvernement pour obtenir des réformes. Il se désole néanmoins d’un désintérêt marqué depuis quelques mois. “Ils nous écoutent parler, ils acceptent nos recommandations, mais ils font exactement l’inverse…”

La faiblesse de l’argument de conditionnalité tient peut-être au fait que l’UE n’a plus de “carottes” à offrir à l’Ukraine. Bénéficiaire d’un accord d’association, d’une zone de libre-échange et d’un accord de libéralisation des visas Schengen, Kiev n’attendrait plus qu’une perspective d’adhésion à l’UE. Chose que Bruxelles ne semble disposé à offrir. En revanche, les “bâtons” européens - le gel de l’assistance financière et le rétablissement d’un régime de visas - peuvent pousser l’Ukraine vers d’autres bras, d’autant que l’économie est aux abois face à la pandémie de Covid-19. Si les velléités de groupes politiques de se rapprocher de la Russie ne passent guère auprès d’une majorité de l’opinion publique, la Chine se montre, elle, très intéressée par des coopérations renforcées avec Kiev. Elle pourrait s’insérer dans le traditionnel dilemme ukrainien entre Europe et Russie.

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