Analyse: “La forêt de Tchernobyl brûle!” – l’incendie qui cache la fournaise

Faut-il vraiment craindre l’élévation des niveaux de radiation causé par l’incendie qui a ravagé une centaine d’hectares de la zone d’exclusion de Tchernobyl? Le feu s’est déclaré le 4 avril.

Le 5 au matin, Yehor Firsov, chef du service d’Etat d’inspection écologique, rapportait dans un post Facebook une hausse du niveau des radiations à 2,3 milliSievert au centre de l’incendie. Soit un niveau 16 fois supérieur à la norme de 0,14 microSievert.

La majorité des commentaires dans les médias et sur les réseaux sociaux se sont concentrés sur l’information d’une “hausse de 16 fois la norme”. Pourtant, 2,3 milliSievert n’est pas une concentration fatale en soi. Sur la vidéo postée par Yehor Firsov, on peut voir que la main tenant le détecteur de radiation ne porte aucune protection, ce qui est un indicateur du faible danger rencontré par le personnel d’intervention. Ce tableau des correspondances mis en ligne par The Guardian indique qu’un scanner médical de la tête délivre une dose de 2 milliSievert, et un scanner corporel une dose de 10 milliSievert. Les milliers de personnes évacuées de la zone d’exclusion en 1986 ont été exposés à des rayonnements de 350 milliSievert. Malgré de multiples complications de santé désormais bien identifiées, la plupart d’entre elles sont encore vivantes de nos jours. Une concentration de 2,3 milliSievert est donc tout à fait acceptable selon les classifications contemporaines.

Dès le 6 avril, Yehor Firsov assurait que les niveaux de radiation dans la région de la capitale, Kiev, étaient d’un niveau normal.

Ce n’est que le 8 avril, au terme d’une opération d’envergure, que le feu a été maîtrisé. Plus de 250 pompiers, 3 avions Canadair et 3 hélicoptères ont été mobilisés. Les dégâts à l’écosystème sont considérables, d’autant que l’incendie de Tchernobyl n’est qu’un des plus de 17.000 feux de prairie, steppe et forêts qui enfument l’Ukraine depuis quelques jours. Plus de 20000 hectares de terrain sont affectés, selon le service des situations d’urgence d’Ukraine. Il est compréhensible que le nom de la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire, avant Fukushima, suscite inquiétude et commentaires alarmistes. Mais ce sont bien les incendies et la pollution atmosphérique qu’ils engendrent qui préoccupent les Ukrainiens – et devraient provoquer une réaction ferme des autorités.

Dans la zone d’exclusion de Tchernobyl comme ailleurs, c’est l’homme qui provoque ces feux. Chaque année au printemps, il est coutume de brûler des feuilles mortes, des détritus, de l’herbe coupée dans son jardin… Ces foyers peuvent être vite alimentés par le vent, jusqu’à devenir incontrôlables. Près de Tchernobyl en l’occurrence, c’est un jeune homme de 27 ans qui a enflammé de l’herbe et des poubelles en trois endroits différents “pour s’amuser”. Le problème, dénoncé chaque année par différents collectifs et groupes de protection de l’environnement, réduit en cendres faune et flore, appauvrit la fertilité des sols, et aggrave la pollution de l’air. Le 7 avril, Kiev était ainsi la ville à l’atmosphère le plus pollué au monde, selon IQair.com. Le 8 avril, elle était encore 5ème du classement.

A la source de la perpétuation du problème, un manque de discipline dramatique de la part des pyromanes, entretenu par l’absence d’infrastructures de traitement et de recyclage des ordures en Ukraine, mais aussi par une complicité au mieux passive des autorités. Les amendes sanctionnant les départs de feu, quand elles sont dressées, ne représentent qu’un montant ridicule de 85 hryvnias (environ 2,8 euros). Les appels à de réelles sanctions et à une intransigeance des autorités, sont restées lettre morte. Bien plus que la radiation de Tchernobyl, avec laquelle les Ukrainiens et les Européens en général vivent depuis déjà 34 ans, c’est la culture du “feu de jardin” qui ruine l’écosystème du pays et cause un réel danger de santé publique.

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Courrier d’Europe Centrale: Tchernobyl, la terre brûlée

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