Courrier d’Europe Centrale: Tchernobyl, la terre brûlée

Article publié dans le Courrier d’Europe Centrale, le 14/04/2020

Tchernobyl a eu chaud. Les flammes qui ont ravagé la zone d’exclusion autour du réacteur numéro 4, accidenté en 1986, ont bel et bien léché les quartiers sud de la ville abandonné de Prypiat le 13 avril. Photographies, vidéos et prises de drones témoignent de l’enfer qui dévore plus d’une centaine d’hectares de terrain depuis le 4 avril. Plus de 350 pompiers équipés d’une centaine de camions, de 3 avions et de 3 hélicoptères ont été mobilisés jours et nuits jusqu’à ce qu’une pluie salvatrice apaise les brasiers, le 14 avril au matin.

Le niveau de radiation s’est élevé à cause de l’incendie. L’information d’une hausse de 16 fois la norme a notamment fait le tour du monde en provoquant inquiétude et fatalisme, dans un contexte où l’opinion publique était déjà éprouvée par les mesures de confinement visant à lutter contre le coronavirus.. Cette concentration est pourtant restée confinée au coeur du foyer, sans représenter de réel danger pour l’homme. Les 2,3 milliSieverts recensés par Yehor Firsov, le chef du service d’inspection écologique d’Ukraine, équivalaient à la dose reçue lors d’un scanner médical du cerveau. Un scanner corporel administre à lui seul une dose de 10 milliSievert. L’augmentation du césium 137 détectée dans la capitale, Kiev, à 80 kilomètres au sud, est restée “100 fois inférieure à la norme acceptable”.

Dans son ouvrage “Le crime de Tchernobyl”, Vladimir Tcherkov avertit avec raison que ces comparaisons correspondent à une échelle de valeur déterminée artificiellement. “La norme de la vie, c’est zéro radionucléide artificiel dans l’organisme humain”, précise-t-il. Toujours est-il qu’en vertu de cette classification, l’élévation de la radiation causée par l’incendie du 4 avril ne représente pas de danger particulier pour l’homme. A titre de comparaison, les milliers de personnes évacuées de la zone d’exclusion en 1986 ont été exposés à des rayonnements de 350 milliSievert. Malgré de multiples complications de santé désormais bien identifiées, la plupart d’entre elles sont encore vivantes de nos jours.

Plus que la radiation, c’est la destruction d’une faune et d’une flore uniques en Europe, dans une zone désertée par l’homme ces 34 dernières années, qui est préoccupante. “C’est notre musée à ciel ouvert qui brûle, nos archives, notre histoire”, s’est alarmée la guide touristique Olena Gnes en tentant de pousser les autorités à agir et de sensibiliser l’opinion publique. La catastrophe remet en cause l’ambition du président Volodymyr Zelenskyy de faire de la zone d’exclusion de Tchernobyl un “aimant à chercheurs et à touristes”. Le chef de l’Etat a personnellement réagi sur le tard à la situation, à travers un tweet du 13 avril au soir.

L’historien Serhiy Plokhii, auteur de “Tchernobyl: histoire d’une tragédie” et fin connaisseur de la zone, a pointé du doigt sur son compte Facebook les insuffisances de l’Etat. “Les pompiers creusent devant le feu des tranchées qui auraient du être percées depuis des années”. Plusieurs rapports mettent en lumière le manque d’eau et d’équipement de protection des brigades d’intervention. Il faut préciser que le ministère des situations d’urgence a du faire face depuis début avril, à travers tout le pays, à plus de 27000 départs de feu qui ont anéanti plus de 20000 hectares de terrain. Le système en ligne FIRMS, utilisé pour le repérage des feux sur la planète grâce à des satellites de la NASA, a confirmé l’embrasement généralisé du territoire ukrainien ces derniers jours.

La pollution atmosphérique est l’un des problèmes majeurs causés par ces incendies. Le 7 avril, Kiev était la ville la plus polluée au monde en termes de qualité de l’air, selon IQair.com. Le 8 avril, elle était encore 5ème du classement. A l’ouest de l’Ukraine, c’est une décharge à ciel ouvert de la ville de Lviv qui a été réduite en cendres, dégradant encore plus la qualité de l’air.

La plupart de ces brasiers sont dus à des particuliers qui brûlent feuilles mortes, herbes et détritus. Une pratique traditionnelle qui provoque de graves feux de steppes, prairies et forêts chaque année. Dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, c’est un jeune homme de 27 ans, appréhendé par la police, qui a enflammé de l’herbe et des poubelles en trois endroits différents “pour s’amuser”. Dans l’Ukraine agraire, les feux nuisent non seulement aux écosystèmes, mais aussi à la fertilité des sols. La pratique des “feux de jardin” a aussi été utilisée pour faciliter la “disparition” de bois précieux et son exportation par des contrebandiers. Cette année, de nombreux feux ont dégénéré, grossis par des vents forts et rendus fous par une végétation asséchée par un hiver sans neige et un printemps sans pluie. L’Ukraine doit, elle aussi, repenser la pertinence de ses pratiques rurales séculaires au vu du changement climatique.

C’est sur ce point que s’est concentrée une partie du débat lié aux feux de Tchernobyl. Les amendes imposées aux pyromanes étaient jusqu’alors d’un montant de 85 hryvnias (soit environ 2,8 euros). Dans de nombreux cas, les incendiaires n’étaient pas incriminés, grâce à une complaisance des forces de l’ordre. Le 13 avril, 328 députés ont soutenu une loi augmentant les peines. Les sanctions financières seront désormais de 6,120 hryvnias pour les citoyens, et 21,420 hryvnias pour les fonctionnaires. Des peines de prison sont prévues pour les dégâts causés à l’environnement. Ce durcissement de la loi sera-t-il suffisant pour modifier les mentalités? En pleine fournaise dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, des nouvelles préoccupantes venaient de la ville de Slavoutitch, fondée en 1986 pour héberger les ingénieurs et liquidateurs oeuvrant au confinement du réacteur numéro 4. Comme beaucoup au printemps, eux continuaient à brûler feuilles mortes et ordures, recouvrant parfois la ville d’une fumée épaisse.

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