Analyse: Réintégration du Donbass: Au-delà du pugilat parlementaire
Ce qui reste associé aux débats parlementaires ukrainiens des 5 et 6 octobre, ce sont de nouvelles bousculades à la tribune de la Rada, les noms de chèvres, et une grenade fumigène. Les lois 7163 et 7164 ont pourtant des implications très concrètes:
La loi sur le statut spécial de certains districts du Donbass est prolongée d’un an.
La loi a été adoptée en un vote, sans passer par le processus de première et seconde lecture.
La prolongation intervient quelques jours à peine avant l’expiration de la loi, adoptée le 16 septembre 2014. Celle-ci avait servi de pilier juridique pour l’élaboration des Accords de Minsk du 12 février 2015. En renouvelant le statut spécial pour une nouvelle année, l’Ukraine ne peut être accusée d’enterrer le processus de paix de Minsk.
Petro Porochenko s’est empressé de la promulguer dès le samedi 7 octobre.
La Russie ne peut donc se servir d’un tel argument pour demander une levée des sanctions.
La prolongation de la loi n’engage à rien dans les circonstances actuelles. Elle n’a jamais pu entrer en application, dans la mesure où elle exige “le retrait des troupes étrangères” et le retour de la frontière internationale avec la Russie sous contrôle ukrainien comme préalable à son application.
Le statut spécial n’est prolongé que pour un an. Ce choix laisse supposer que Petro Porochenko ne s’engage pas dans la durée, voire qu’il pourrait être tenté de changer d’approche au cours de l’année.
Un tel choix promet de nouveaux débats houleux à l’automne 2018. Ne pas oublier cependant que les débats autour des provisions juridiques concernant le statut du Donbass ont été plus mouvementés auparavant. Le 31 août 2015, une grenade avait tué 4 policiers aux abords de la Rada, dans le cadre de manifestations contre un projet de loi sur la décentralisation de l’Etat. Le projet incluait des dispositions sur le statut du Donbass.
Si la loi 7163 est adoptée comme telle en seconde lecture, et promulguée par le Président, elle mettra fin à un double-language qui a beaucoup été reproché à l’exécutif ukrainien:
La politique de Moscou dans le Donbass sera dénoncée comme “l’agression russe contre l’Ukraine”
Les républiques auto-proclamées séparatistes de Donetsk et Louhansk seront officiellement présentées comme des “territoires temporairement occupés”
Ce sera la fin de de la Zone d’Opération Anti-Terroriste (ATO), remplacée par une zone d’opération militaire dont le statut reste à définir.
La loi prévoit un renforcement de la coordination des actions des forces armées. Elles sont aujourd’hui marquées par des différences, voire des rivalités, entre le ministère de la défense, le ministère de l’intérieur, le Conseil National de Sécurité et de Défense (RNBO), la garde nationale ou encore les anciens bataillons de volontaires.
Le RNBO d’Oleksandr Tourtchinov se trouvera renforcé en tant que pivot du dispositif militaire.
Les changements en termes d’organisation des forces armées, de circulation dans la zone de guerre, de passage de la ligne de contact (appellation technique de la ligne de front) ou même d’accès pour les journalistes, sont encore à définir.
Une restructuration du dispositif militaire ne devrait pas changer le cours de la guerre. Sur le terrain, les positions ukrainiennes semblent bien enterrées, face aux forces pro-russes et russes.
La loi réaffirme la préférence pour une solution diplomatique au conflit.
En dénonçant la Russie comme Etat agresseur, Petro Porochenko assure renforcer la position internationale de l’Ukraine comme pays victime d’une intervention étrangère. Kiev peut ainsi se référer à l’article 51 de la Charte des Nations-Unies, relatif au droit à la légitime défense des Etats membres.
Petro Porochenko estime qu’une telle disposition consolide sa position dans les négociations sur la livraison d’armes létales américaines.
Une telle posture peut aussi être utilisée dans les discussions sur l’envoi d’une force de maintien de la paix de l’ONU, actuellement en cours de considération.
La Crimée est la grande absente de la loi 7163. C’est l’un des points très critiqué par les parlementaires.
Rappelons que le paquet de lois a été élaboré à huis clos par l’administration présidentielle, et dévoilé au dernier moment.
Reste donc à voir si des dispositions seront ajoutées avant le vote en deuxième lecture.
Les débats, esclandres et votes à la Rada votes ont consacré les profondes divisions entre les forces en présence, mais aussi les alliances de circonstance.
Samopomitch, Batkyvshina, Radikalna Partia, ainsi que des députés réformateurs et/ou nationalistes ont acté d’une opposition de principe à Petro Porochenko, y compris sur de tels sujets d’intérêt national.
Les blocs héritiers du Parti des Régions de Viktor Ianoukovitch – Oppositsniy Blok, Vidrodjennia, Volia Narodu – ont voté en masse la loi 7164 sur la prolongation du statut du Donbass.
En revanche, ces partis n’ont pas soutenu la loi 7163 reconnaissant la Russie comme agresseur.
Le député Mustafa Nayyem, opposé à ces projets présidentiels, y voit là une alliance en sous-main entre l’exécutif et ces partis, pour sécuriser la seule loi 7163. Selon lui, le Président n’était en fait guère intéressé par la loi 7164. Il le soupçonne de vouloir prolonger le status quo, sans réelle volonté de tendre la main aux populations du Donbass.
Mustafa Nayyem est en cela taxé de populisme par ses opposants et les ambassades occidentales, dans la mesure où ces lois n’ont qu’un impact virtuel sur la zone de guerre, et ses habitants, tandis que l’incidence sur la position internationale de l’Ukraine est jugée, elle, bien réelle.
En guise de conclusion, il convient de rappeler que ce paquet de lois sur la “réintégration du Donbass” ont été votées dans un contexte toujours tendu sur le terrain. Le 4 octobre, des missiles “Grad” ont été tirés près de Marioupol, la première fois depuis plusieurs mois.