Courrier d’Europe Centrale: En Ukraine, la vague du dégagisme déferle sur le Parlement

Article publié sur le site du Courrier d’Europe Centrale, le 20/07/2019

“L’Ukraine a déjà perdu suffisamment de temps. Je me mobilise parce que je crois que cette fois peut être la bonne pour les réformes”. Alina Sviderska surmonte à peine sa timidité. Entrepreneuse dans le domaine des énergies vertes, cette trentenaire est désormais numéro 19 sur la liste de “Holos”, mot ukrainien traduit par à la fois par “Voix” et “Vote”. Le parti du chanteur de rock Svyatoslav Vakarchuk est crédité de 5,9% des intentions de vote aux élections législatives anticipées du 21 juillet, selon un sondage du groupe Rating. Alina Sviderska est donc susceptible de devenir députée. “Je sais d’ores et déjà que cela ne va pas être facile, et frustrant”, assure-t-elle. “Mais plus on aura de nouvelles têtes dans l’hémicycle, plus on pourra améliorer les choses”.

Autour de la jeune femme, sur une terrasse ensoleillée du centre de Kiev, une petite dizaine d’autres candidats, jeunes et novices de la politique. Svyatoslav Vakarchuk, un artiste très populaire dont l’engagement civique est associé aux révolutions de 2004 et 2014, entend jouer sur la vague de “dégagisme”, réaction à la corruption et à l’incompétence de la classe politique, qui a porté le comédien Volodymyr Zelenskyy à la présidence en avril. Les politologues s’attendent à un renouvellement de 70% des parlementaires.

Le parti présidentiel “Sluga Narodu - Le Serviteur du Peuple”, crédité de 49,5% de soutien selon Rating, pourrait former seul une majorité, même si cela reste conditionné aux résultats des circonscriptions majoritaires, en vertu d’un système électoral mixte. Le nouvel hémicycle devrait néanmoins être en mesure de fournir au chef de l’Etat les moyens des ambitions qu’il affiche: faire de l’Ukraine un Etat moderne et prospère, européanisé, garantir l’intégrité de la justice, en finir avec la corruption endémique et négocier une paix avec la Russie pour en finir avec la guerre dans l’est.

La liste de Sluga Narodu se compose de nombreux iconoclastes de la politique, ralliés à Volodymyr Zelenskyy sur un modèle similaire à celui d’En Marche, d’Emmanuel Macron. Mais si beaucoup de ces candidats sont issus de la société civile, le parti héberge quelques personnalités controversées, liées aux cercles d’amis de Volodymyr Zelenskyy, à des groupes oligarchiques, ou encore à des partis discrédités par le passé. La perspective d’un renouvellement total de la classe politique est donc à considérer avec relativité. Les partis de Petro Porochenko, Viktor Medvechuk, ami personnel de Vladimir Poutine, ou encore de Ioulia Timochenko, ne brillent pas non plus par leur nouveauté ou leur transparence. En opposition, Holos joue la carte du plus “blanc que blanc”.

“Nous avons refusé une donation importante car le sponsor voulait rester anonyme”, révélait Svyatoslav Vakarchuk en juin en se targuant de sa transparence. Sur la terrasse, même les étiquettes des bouteilles d’eau ont été retirées. Le chanteur dénonce les manipulations et tentatives de diffamation venues de ses opposants. “Mes candidats jouent le jeu avec honnêteté, ils ne sont pas armés pour répondre aux mensonges et humiliations”. Le chanteur espère une “disparition de l’ancien monde”, qui permettrait de “faire de la politique, la vraie”.

Le programme de Holos reste néanmoins à définir, de même que sa cohérence idéologique. Le parti se présente comme une force patriotique, réformatrice et socialement libérale, par exemple sur des questions de droit à l’avortement. Mais sur la terrasse de Kiev, le jeune Roman Lozynskiy se définit comme un “conservateur moral”, qui agira “selon ses convictions”, au risque de rompre la discipline du parti. Peupler le Parlement de “nouvelles têtes” garantit peut-être son intégrité pendant les 5 prochaines années, mais pas son efficacité.

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