Des barricades à Tbilissi
Des barricades à Tbilissi
Des barricades de fortune, un village de tentes, des étudiants déterminés à contester les fraudes électorales
Les protestataires se sont installés dans la rue de la capitale
après l’annonce par la commission électorale centrale de la validation des élections
L’association d’idées qui vient tout de suite en tête, c’est Maïdan à Kyiv,
que ce soit la révolution orange de 2004 ou celle de la Dignité de 2014.
Est-ce qu’on y est déjà?
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on parle de Géorgie, des conséquences des élections du 26 octobre pour le pays mais aussi de ses effets secondaires pour l’Abkhazie, où des protestataires occupent des bâtiments administratifs depuis le 15 novembre.
Entre hier dimanche 17 et aujourd’hui lundi 18 novembre, plusieurs dizaines, voire centaines de manifestants géorgiens,
principalement des étudiants, ont passé la nuit dans le centre-ville de Tbilissi, entre le quartier gouvernemental, le siège de la commission électorale et l’université de Tbilissi
Ils ont campé soit à même le sol soit dans des tentes de randonnées
Et ça s’organise vite. On voit déjà un stand pour des boissons chaudes
et des barricades faites de bancs, de containers à poubelles et de sacs de sable.
Donc les fondations d’un village de protestataires qui peut durer tout autant qu’il qu’il peut être démonté en quelques heures
Les protestataires demandent l’invalidation des élections législatives du 26 octobre et la tenue de nouvelles élections
selon les résultats officiels, le parti au pouvoir, le rêve géorgien, de l’oligarque en chef Bizdina Ivanishvili
a remporté à peu près 54% des voix
et une coalition de partis d’oppositions un peu moins de 38%
cette opposition qui dénonce des fraudes massives, je vais y revenir
elle a soumis plus de 1000 recours en justice
qui ont tous été rejetés par différents tribunaux
ce qui a fait que la commission électorale centrale a validé les résultats le 16 novembre
a cette occasion on a vu un membre de l’opposition asperger le chef de la commission avec de l’encre noire, en référence à une des fraudes dénoncées
qu’une grande manifestation s’est tenue hier 17 novembre et qu’elle a donné lieu à l’établissement de ce petit camp de fortune.
Est-ce que cela va durer?
Le pouvoir en place a pris le parti d’ignorer ces manifestations jusqu’à présent et de prêter une sourde oreille aux revendications,
Donc je dirais que tout dépend de la détermination des manifestants
la présidente Salomé Zourabichvili est passée ce soir sur ce campement en appelant à continuer la lutte,
en affirmant qu’elle ne reconnaîtra pas les élections elle-même
qui pour elle ont été manipulées du début jusqu’à la fin par la Russie, ça aussi je vais y revenir.
Alors, quand on parle de ces fraudes, il y a une série de violations qui est avérée, qui a été rapportée le jour même de l’élection, capturé en vidéo.
Il y a aussi des questions sur la participation des diasporas.
Mais plus globalement, le Rêve géorgien est au pouvoir depuis 2012
et s’est assuré d’une main-mise sur l’appareil d’Etat ou encore de la loyauté de syndicats, associations, minorités ethniques…
donc si l’élection se tenait de nouveau, il n’est pas sûr que l’opposition puisse concurrencer ce clientélisme
et tout simplement la politique du parti au pouvoir
d’autant que le rêve géorgien sait jouer de l’ambiguïté concernant l’orientation géopolitique du pays,
en assurant désirer une intégration européenne
mais dans une autre Europe, avec d’autres valeurs, c’est d’ailleurs pour cela que Viktor Orban s’est rapidement déplacé à Tbilissi pour féliciter l’oligarque Bidzina Ivanishvili.
et concernant la Russie, le travail de fond s’est opéré depuis des années
pour préparer l’opinion publique à un rapprochement avec Moscou,
mon collègue Régis Genté explique ça très bien ici:
Et ça, c’est un projet mené personnellement par Bidzina Ivanishvili qui a des liens intimes avec la Russie.
Donc oui, la main de la Russie elle est visible dans cette élection
Mais ce n’est pas que de l’ingérence électorale directe, c’est aussi bien plus subtil que cela,
à travers l’économie, le tourisme, l’énergie, les discours historiques, etc.
Et puis c’est aussi lié aux insuffisances des Occidentaux qui dans le contexte de la guerre en Ukraine
on complètement lâché cette rive orientale de la mer Noire
Les Européens ont demandé une enquête, les Américains ont gelé des fonds d’assistance
Mais cela n’ira pas beaucoup plus loin
et ce n’est pas à travers la Turquie d’Erdogan, elle aussi très impliquée en Géorgie, qu’ils obtiendront des résultats à Tbilissi.
En tous les cas, c’est intéressant de voir que cette situation électorale se double d’une crise à Soukhoumi, donc la capitale de la république auto-proclamée d’Abkhazie
qui a fait sécession après une guerre en 1993,
Elle est soutenue par la Russie et depuis lors de plus en plus dépendante et contrôlée par la Russie.
Ce 15 novembre, des manifestants ont fait irruption dans le bâtiment du Parlement local
pour protester contre un accord d’investissement favorable à la Russie, qui permettrait aux citoyens russes d’acheter de la propriété immobilière et foncière en Abkhazie.
Les manifestants ne sont pas anti-russes, loin de là
mais ils s’inquiètent d’une main-mise russe sur la région, accentuée par le différentiel économique entre les Russes et les Abkhazes.
Cette situation a évidemment des répercussions en Géorgie, qui revendique toujours sa souveraineté sur la région
la présidente Salomé Zourabichvili a dénoncé un plan d’annexion
Mais c’est aussi important pour la Russie, qui doit maintenir son influence et la stabilité de cette rive de la mer noire
d’autant qu’elle y construit une base navale.
Les deux crises sont distinctes mais liées au projet plus vaste d’influence russe dans le Caucase du sud.
D’une certaine manière c’est plus simple pour Moscou et ses agents comme Bidzina Ivanishvili de gérer la crise à Tbilissi qu’à Soukoumi
Puisqu’à Tbilissi il est facile d’estampiller les protestataires comme des agents payés par l’Occident, réactiver le mythe des révolutions de couleur organisées par la CIA, et ainsi de suite.
Alors qu’à Soukoumi les protestataires sont clairement amicaux vis-à-vis de la Russie, et il va falloir de réels mesures économiques pour les calmer.
Pour finir cette vidéo, je reviens à Tbilissi.
Avec cette question de savoir si ce village de protestataires peut se transformer en mouvement structuré et de long terme.
Il faut voir que pour l’instant c’est timide,
que l’opposition est faible et divisée,
que l’hiver commence
et que dans ce contexte il faut être vraiment motivé pour formuler des exigences politiques alors que l’on se heurte au mur de l’exécutif.
Sachant que cet exécutif il contrôle tous les instruments pour faire pression sur l’opposition et sur la société civile,
notamment à travers la récente loi passée sur les agents de l’étranger
J’avais tout expliqué ici.
Donc s’il n’y a pas de perspectives d’obtenir des résultats politiques, qu’il y a des pressions policières et qu’en plus il fait très froid,
ces manifestations de rue pourraient ne pas durer.
D’autant que l’opposition a encore d’autres moments de mobilisation, comme
la réélection de la figure du Président par le Parlement, prévu 45 jours après l’investiture du Parlement
ou les élections municipales de l’an prochain
et sachant, j’en termine par là, que tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à un Maidan
qui mettrait en danger le pouvoir de Bidzina Ivanishvili
entraînera une réponse de la Russie, très implantée dans le pays, avec des troupes en Ossétie du sud une cinquantaine de kilomètres de la capitale.
La situation apparaît donc assez inextricable, pour l’instant en tout cas.
Merci