Le plan de la victoire expliqué
C’est un plan en 5 points, un certain nombre de projets concrets, et 3 clauses secrètes.
Volodymyr Zelensky a présenté son plan de la victoire au Parlement ukrainien et au grand public hier, 16 octobre.
Un plan qu’il avait déjà présenté à plusieurs de ses alliés américains et européens ces dernières semaines.
Et dans les chancelleries occidentales comme hier au Parlement, il a reçu des réactions mitigées.
Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo dans laquelle on décortique, on explique et on contextualise ce fameux plan de la victoire.
En soi, le plan est intéressant, mais le plus important ce n’est pas son contenu. C’est plutôt ce que les alliés de l’Ukraine veulent en faire.
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Donc hier Volodymyr Zelensky s’est rendu à la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien, pour présenter son plan aux députés.
L’allocution a été retransmise en direct et donc on a presque tous les détails de ce plan.
Il est en cinq points.
On parle d’une invitation ferme des alliés pour que l’Ukraine rejoigne l’Otan
d’aspects de défense
de la mise en place d’une politique de dissuasion non-nucléaire pour empêcher une nouvelle aggression russe
des aspects économiques
et en cinquième l’ébauche d’une architecture de sécurité européenne.
Alors, le premier point, l’invitation pour rejoindre l’Otan et, à plus long-terme, l’Union européenne.
On parle d’invitation, pas d’adhésion immédiate,
Mais le fait que ce soit le premier point n’est pas anodin
C’est quelque chose sur lequel l’Ukraine insiste beaucoup depuis qu’elle a déposé sa demande d’adhésion en septembre 2022.
A Kyiv, on voit ça comme la garantie de sécurité ultime dans le long-terme, et un moyen d’ancrer le pays dans les institutions euro-atlantiques.
En l’état, ça pourrait prendre la forme d’une formule calquée sur le modèle de l’Allemagne de l’ouest
En 1955, la république fédérale d’Allemagne avait rejoint l’alliance atlantique alors qu’elle était coupée de sa partie orientale, la république populaire d’Allemagne rattachée au bloc communiste.
Les territoires actuellement contrôlés par l’Ukraine pourraient donc rejoindre l’Otan, laissant la question du reste pour plus tard ou pour des négociations de paix.
C’est un scénario à prendre en compte parce que ce plan de la victoire ne parle pas d’un retour aux frontières de 1991.
Je reviendrai dans quelques minutes sur ce dont ce plan ne parle pas.
Mais donc l’Otan, premier point, qui est déjà en soi une montagne à conquérir étant donné que les alliés sont particulièrement frileux sur cette question.
Deuxième point: des questions de défense et de conduite de la guerre.
On parle notamment d’améliorer les systèmes de défense anti-aérienne
mais aussi de continuer à apporter la guerre sur le territoire russe. Cela veut dire continuer les opérations à Koursk, même si les Ukrainiens y perdent déjà pied,
et potentiellement ailleurs,
et aussi multiplier les frappes dans la profondeur, avec des missiles balistiques occidentaux.
Sur cette question aussi les alliés américains et européens sont frileux, même si on sent un frémissement.
Les Etats-Unis viennent tout juste d’annoncer un nouveau paquet d’aide de 425 millions de dollars
Selon Volodymyr Zelensky, il contient des armes de longue portée même s’il n’a pas précisé s’il s’agit de missiles.
Les Britanniques cherchent aussi un moyen d’autoriser l’utilisation de leurs missiles Storm Shadow.
Et on a déjà des annonces qu’ils ont été utilisés contre des postes de commandement russe.
Donc ça peut bouger relativement rapidement.
Je rappelle, hein, tout le raisonnement derrière ce plan de la victoire c’est de créer les conditions pour que la Russie comprenne qu’elle ne peut pas gagner cette guerre
et forcer Vladimir Poutine à s’asseoir à une table de négociations dans un format qui soit favorable à l’Ukraine, selon la formule pour la paix qui est poussée par Kyiv depuis l’an dernier.
Selon Volodymyr Zelensky, si on met en application ce plan maintenant, il y a une chance de terminer la guerre en 2025.
Ce qui paraît à la fois tout à fait logique et très ambitieux, je vais y revenir.
Donc on a une invitation pour rejoindre l’Otan et des questions de défense.
Le troisième point, c’est la mise en place d’un paquet de dissuasion non-nucléaire pour prévenir une nouvelle agression russe
Ce point là, il est très vague, probablement à dessein.
On comprend pourquoi Volodymyr Zelensky insiste sur l’aspect non-nucléaire
mais ce que cela voudrait dire, c’est plus difficile à deviner. Des fortifications le long de la frontière? Des systèmes de défense anti-aériennes? Des bases de l’Otan sur le territoire ukrainien?
C’est assez flou.
Le quatrième point, c’est sur la dimension économique, afin de renforcer les capacités de résilience ukrainiennes et de consolider le pays qui a beaucoup souffert de la guerre.
Et là, c’est assez concret, notamment concernant les ressources naturelles ukrainiennes.
Volodymyr Zelensky ouvre la porte à un accord spécial sur des investissements européens et américains visant à exploiter les ressources en uranium, titanium et lithium, notamment
pour bien souligner que défendre l’Ukraine ce n’est pas qu’une question de principes, mais aussi une question d’intérêts
Les occidentaux ont intérêt à ce que l’Ukraine soit arrimé à leur espace économique.
Volodymyr Zelensky appelle aussi à renforcer les sanctions à l’encontre de la Russie pour contraindre encore un peu plus l’économie russe et l’effort de guerre, et forcer Moscou à la paix.
Le cinquième et dernier point, c’est une ébauche d’architecture de sécurité après la guerre.
Architecture de sécurité pour l’Ukraine mais plus généralement pour l’Europe.
Les forces armées ukrainiennes étant les seules en Europe à avoir l’expérience d’un conflit de haute intensité, Volodymyr Zelensky les voit comme un atout pour la sécurité du continent.
Et il a aussi suggéré que des contingents ukrainiens pourraient remplacer les Américains sur certaines bases qu’ils occupent depuis la seconde guerre mondiale ou dans le cadre de l’Otan.
Ca, c’est intéressant, et ça vise expressément à séduire les Américains qui cherchent depuis des années à se désengager d’Europe pour accélérer leur fameux pivot vers l’Indo-Pacifique.
Donc il y a ces cinq points et 3 clauses qui sont secrètes, qui ont été présentées à quelques alliés occidentaux dont Emmanuel Macron et aux présidents des partis d’opposition au Parlement.
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donc on a un plan qui prévoit une invitation ferme pour entrer dans l’Otan, plus de livraisons d’armes, l’établissement d’une infrastructure de défense sur le long-terme, des investissements économiques, et qui commence à prévoir l’après-guerre.
Ce qui est assez pertinent dans la mesure où une des grandes carences de cette guerre côté occidental, c’est de ne pas avoir défini de but de guerre et encore moins d’avoir conceptualisé une paix juste et durable.
C’est aussi assez intelligent de présenter l’Ukraine non pas comme un problème pour les Occidentaux mais aussi comme une opportunité économique et militaire.
Mais il y a aussi beaucoup de choses dont ce plan ne parle pas.
Par exemple, Volodymyr Zelensky dans son discours n’a pas mentionné les étapes pratiques pour mettre en place ce plan, notamment concernant la libération des territoires occupés.
Compte tenu de la position de faiblesse de l’Ukraine en ce moment, c’est un aspect très important.
Le chef de l’Etat n’a pas non plus mentionné le retour aux frontières de 1991. Et de fait, on en parle de moins en moins en Ukraine tant la situation est difficile.
D’où cette idée d’une formule à l’Allemagne de l’ouest en ce qui concerne l’adhésion à l’Otan.
Ce plan de la victoire, il consiste principalement à demander aux Occidentaux d’intensifier leur aide à l’Ukraine et à faire des choses qu’ils n’ont pas fait depuis 2022.
Ca tranche avec la rhétorique ukrainienne qui a longtemps consisté à dire: donnez nous les moyens d’agir et on fera le job.
Là, ce plan de la victoire est clairement un appel à une implication beaucoup plus directe des Occidentaux.
Ca reflète l’essoufflement des capacités ukrainiennes face aux coups de boutoir russes.
Là, Kyiv doit sentir que si le niveau d’aide reste stable, le pays n’a plus les reins aussi solides pour mener des opérations de reconquête - notamment en termes de ressources humaines.
Il y a aussi une autre critique que des représentants de l’opposition ont adressé au plan: il ne mentionne pas grand chose de ce que l’Ukraine doit faire pour renforcer ses capacités, en premier lieu les réformes structurelles et la lutte contre la corruption.
Selon plusieurs députés de l’opposition, Volodymyr Zelensky met sciemment l’accent sur la nécessité pour les Occidentaux d’aider plus l’Ukraine
Pour préparer l’opinion publique à un scénario loin d’être idéal, à un scénario de défaite, qui dédouanerait les autorités, en rejetant toute la faute sur les insuffisances des Américains et des Européens.
La défaite, on n’y est pas encore,
Mais il y a effectivement une insistance de Volodymyr Zelensky sur la question. Il a dit et répété que tout ce plan de la victoire dépendait des partenaires.
Et les partenaires, on ne les sent pas très enthousiastes.
Volodymyr Zelensky a présenté son plan à la Maison blanche, à Paris, à Berlin, à Londres et à Rome.
Mais nulle part il n’a obtenu de confirmation d’un engagement sérieux.
Et il n’y aura rien avant l’élection américaine.
Volodymyr Zelensky est à Bruxelles aujourd’hui pour des entretiens au niveau de l’Otan et de l’Union européenne
Mais on est très loin du Ramstein au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement qui devait être dirigé par Joe Biden le weekend dernier.
Là, Joe Biden va venir à Berlin demain mais seulement pour rencontrer Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Keir Starmer
Volodymyr Zelensky n’est pas invité, du moins pas officiellement, on verra demain s’il y est ou pas.
Et le sommet Ramstein, il sera tenu à un moment en novembre, et en ligne, apparemment.
Après l’élection américaine donc.
Dans ce contexte, il est fort possible que cette initiative du plan de la victoire reste lettre morte
et ça donne du grain à moudre aux propagandistes russes
Le porte-parole du Kremlin Dmitry Peskov a par exemple appelé Kyiv à “se dégriser” et à réaliser “la futilité” de sa politique.
Venu du côté russe, on ne pouvait pas attendre autre chose et il est fort possible que les Occidentaux l’entendent d’une autre oreille.
Mais, ça j’en suis persuadé, pas avant l’élection présidentielle américaine. Jusqu’au 5 novembre, tout ce que pourra dire ou proposer Volodymyr Zelensky ne fera que flotter dans l’air.
Ce qui est par ailleurs assez dramatique compte tenu des urgences du terrain…
Merci!