Le Taurillon: La Pologne dans la zone euro?

Le passage à l’euro en Slovaquie relance le débat en Pologne, où le Premier ministre Donal Tusk a avancé un agenda ambitieux pour intégrer la zone euro d’ici à 2012, après un référendum prévu en 2010.

Depuis le 1er janvier 2009, la zone euro compte un nouveau membre issu de la vague d’élargissement de l’Union Européenne (UE) de 2004. La Slovaquie, « tigre » d’Europe centrale a surpris bon nombre d’observateurs par sa rapidité à adopter la monnaie unique. Si cette adhésion suscite beaucoup d’intérêt chez les frères tchèques, elle relance aussi la question de la position de la Pologne. Ce pays est en effet le plus grand des Dix, concentrant près de la moitié de leur population et de leur PIB. Mais malgré les attitudes jugées eurosceptiques des frères Kacziński depuis l’adhésion, le premier ministre Tusk a annoncé le 10 septembre 2008 son intention de rejoindre la zone euro à l’horizon 2012, proposition jugée irréaliste par les économistes. Etat des lieux.

Adhérer à l’euro, participer à un rêve européen

Se doter d’une monnaie unique est un objectif poursuivi par les dirigeants européens depuis des décennies. La parution des travaux de Robert Mundell en 1961 avait fourni une liste de critères à respecter pour le fonctionnement optimal d’une zone d’union monétaire : assurer la libre circulation des travailleurs et des capitaux, créer des mécanismes de transferts fiscaux, garantir la flexibilité des prix et des salaires. Après de nombreuses années et hésitations, douze pays ont fait de ce rêve une réalité, même si tous les critères de Mundell ne sont pas encore respectes aujourd’hui.

Sont pointées du doigt l’absence de gouvernement économique de la zone euro et l’hétérogénéité de ses membres. Les traités d’adhésion signés avec les Douze (les Dix plus la Roumanie et la Bulgarie depuis 2007) stipulent pourtant que chacun d’entre eux doit adopter l’euro à terme, ce qui pourrait renforcer les différences au sein de la zone, compliquer l’établissement de sa gouvernance et nuire à sa crédibilité. Une question importante est de savoir si la Pologne serait un facteur de renforcement ou d’affaiblissement de l’euro.

Un agenda plein de promesses

Ce qui parait certain aujourd’hui est que l’adhésion de la Pologne à la zone euro serait un symbole très fort. Le pays, parmi le plus grands des derniers entrants a déjà acquis un poids non négligeable sur le plan institutionnel et politique. L’euro consacrerait son poids économique grandissant et lui offrirait des avantages immédiats : relations commerciales plus aisées grâce à la disparition des fluctuations du taux de change, fin de « l’effet risque » que chaque pays doit payer comme garantie pour les investissements étrangers, suppression des frais de conversion (généralement estimes a 0.5% du PIB) ou encore stabilité accrue du taux d’inflation dans le long terme (malgré un « effet euro » à la hausse, observé à chaque adhésion). De même, l’appartenance à un bloc aussi important que la zone euro confère à ses membres une forte crédibilité économique.

De plus, il semble que le gouvernement polonais ait bien choisi son moment pour annoncer ses intentions. En effet, la Pologne profite encore d’une forte croissance économique (estimée a plus de 6% pour 2008), tandis que les économies européennes s’enfoncent dans la dépression. Les devises de pays hors du Système Monétaire Européen II (SME II), tels que l’Islande, la Norvège ou même le Royaume-Uni, s’effondrent les unes après les autres. S’engager sur la voie de l’euro serait ainsi un bon moyen de rassurer les marches.

D’autant que le calendrier donne une portée toute symbolique au programme du gouvernement. Les Polonais étaient il y a quelques années encore qualifiés de « citoyens de seconde zone », ou encore stigmatisés par le célèbre plombier polonais. Leur position est maintenant toute autre : forte croissance économique, poids politique croissant, membres de l’espace Schengen depuis 2007 ou encore gouvernement de centre-droit pro-européen depuis 2007 qui rompt avec les pratiques des jumeaux Kacziński. L’adoption de l’euro en 2012 viendrait parachever ce retour à l’Europe, après la présidence polonaise de l’UE au second semestre 2011 et l’organisation de l’Euro 2012 (conjointement avec l’Ukraine).

Un contexte national particulier

Dans un contexte économique et financier incertain, la plus grande force du gouvernement semble être sa détermination. Face aux doutes des économistes sur la faisabilité de respecter les délais annoncés, Donald Tusk a plusieurs fois réaffirmé son agenda : rejoindre le SME II d’ici à la mi-2009, organiser un référendum sur la question en 2010 et rejoindre la zone euro en 2012. Il est soutenu dans sa démarche par de nombreuses personnalités polonaises, désireuses de profiter aujourd’hui de la croissance économique. Enfin, il profite d’un isolement grandissant des frères Kacziński et de leur parti PiS (Droit et Justice).

Taxés de populisme et d’euroscepticisme, ces farouches opposants à l’euro réutilisent les arguments assénés pendant la campagne sur l’adhésion à l’UE : perte d’identité et de souveraineté, hausse spectaculaire des prix, risque de voir le destin de la Pologne se jouer ailleurs, voir de devenir victimes d’arrangements faits à Bruxelles. Ils se nourrissent des inquiétudes profondément ancrées dans la société et des scandales inflationnistes dans les autres pays membres. De plus, certains sondages révèlent un attachement fort des citoyens au Zloty, pour des raisons de fierté nationale mais aussi de préférence du design des billets de banque par rapport aux billets en euro.

C’est ainsi que le Premier ministre a du consentir à organiser un référendum sur la question, même si le traité d’adhésion signé en 2003 ne laisse pas la place à l’alternative : la Pologne doit adhérer à la zone euro à terme. Les conséquences politiques d’un refus populaires en 2010 pourraient lui être fatales.

Un long chemin à parcourir

Les principaux obstacles sur la route de 2012 demeurent les contraintes économiques de la transition, les fameux critères de convergence. Malgré la crise financière, la Pologne ne pourrait dévaluer sa monnaie, devrait maîtriser son inflation et ses comptes publics (ce qui limite les investissements publics, pourtant cruciaux dans les infrastructures). Sans oublier la perte de l’avantage comparatif commercial conféré par les variations du taux de change.

La route est donc encore bien longue pour que la Pologne propose sa face nationale au panel des pièces en euro. Mais l’action entreprise par le gouvernement est faisable et souhaitable. Le défi est de taille. D’ici à 2012, la Pologne peut transformer son essai et devenir un des meilleurs élèves de l’intégration européenne, ou bien laisser passer sa chance en conséquence de ses luttes internes.

Previous
Previous

Regard sur l’Est: Lviv, la Cracovie oubliée

Next
Next

Regard sur l’Est: Euro 2012 en Ukraine. Du conte de fées au désastre?