LLB: En Ukraine, l’éternel retour de Ioulia Timochenko: “Elle doit devenir Présidente, elle y a comme un droit sacré !”

Reportage publié dans La Libre Belgique, le 29/03/2019

“Il n’y a qu’elle, il n’y a toujours eu qu’elle. Vous allez voir, elle va transformer le pays!” Maria Samets était fébrile, ce 22 janvier à Kiev, en écoutant Ioulia Timochenko annoncer sa candidature à l’élection présidentielle du 31 mars devant plus de 10000 personnes. “J’étais avec elle à la révolution orange de 2004, j’ai campé devant sa prison en 2011, j’étais là quand elle a été libérée… Ioulia, elle doit devenir présidente. Elle y a comme un droit sacré!”

A l’annonce de sa candidature, Ioulia Timochenko était alors en tête des sondages. A quelques jours du premier tour, Maria Samets peut douter de cette destinée, alors que “sa” Ioulia n’est plus qu’à la troisième position dans les sondages. Il n’empêche. Ioulia Timochenko, 58 ans, assène qu’elle ira “jusqu’au bout”, dans sa troisième tentative d’être élue aux fonctions suprêmes. “Elle n’abandonne jamais, c’est sa force”, lance Oleksiy Kovjoun, un de ses anciens consultants.

Peu d’Ukrainiens se rappellent d’une vie politique sans Ioulia Timochenko, tant elle a pu s’incarner dans les moments marquants de l’Ukraine indépendante. Originaire de Dnipro, dans le sud-est du pays, elle ouvre une société de locations de vidéos avec son mari en 1990. A la fin de la décennie, c’est une oligarque qui figure parmi les 100 premières fortunes d’Ukraine, surnommée la “princesse du gaz”. Active en politique, elle brille comme opposante et égérie de la révolution orange de 2004. Elle devient une première ministre à scandale. En 2011, elle endosse le rôle de prisonnière politique sous le règne de l’autoritaire Viktor Ianoukovitch. En 2014, la voilà libérée comme une Mater Dolorosa de la révolution de la dignité. C’est sous la présidence de Petro Porochenko qu’elle se reconstitue une carrure d’opposante, et de femme d’Etat.

Mais si les Ukrainiens croyaient la connaître, ils ont en fait redécouvert une nouvelle Ioulia Timochenko dans cette campagne. Adieu, la couronne de cheveux tressés qui en avait fait la “Jeanne d’Arc” nationale. Le visage rajeuni, sa longue chevelure jetée sur l’épaule, ses lunettes au cadre large bien ajustées sur son nez, Ioulia Timochenko s’est mise à proposer une “nouvelle direction, et un “nouveau pacte social”, et à promouvoir les “technologies de blockchain”. Sur la route de la campagne, elle a mise en scène l’achat d’un hotdog à une station service, pour paraître proche de l’électorat jeune et populaire.

Une cure de jouvence qui semble ratée. Sa base, composée principalement de femmes d’âge moyen issues de zones rurales, n’ont pas compris sa nouvelle posture. Et les nouvelles catégories d’électeurs qu’elle ciblait en parlant de blockchain ne l’ont pas pris au sérieux. Ioulia Timochenko, qui n’en est plus à un virage près, en est donc revenue ces dernières semaines à ses chevaux de bataille favori: un nouveau plan de paix qui passerait par de nouvelles négociations avec Vladimir Poutine, la dénonciation de la corruption de Petro Porochenko, et la baisse des prix du gaz. Aux ménages qui ont souffert d’une augmentation de 23,5% en novembre dernier, elle promet une baisse de moitié de leurs factures. “Elle est prise très au sérieux sur ces questions énergétiques”, constate Inna Volosevych, chercheuse à l’agence Info Sapiens. “Mais elle n’arrive pas à dégager un message fort au-delà de la réduction des prix”.

La candidate, longtemps en tête des intentions de vote, a donc décroché dans les sondages ces dernières semaines, au profit de Petro Porochenko, mais surtout de l’acteur Volodymyr Zelenskiy. Celui-ci se présente comme le candidat anti-système, prêt à balayer la classe politique traditionnelle. “Ioulia” est une de ses cibles préférées. Cela est d’autant plus aisé qu’elle a eu recours, elle-même, à des méthodes très traditionnelles dans sa campagne. Des journalistes d’investigation ont ainsi remonté la trace de donations de particuliers se chiffrant en dizaines de milliers d’euros: les noms des citoyens en question avaient juste été utilisés à leur insu pour légitimer le transfert d’argent.

Ioulia Timochenko se défend de toute fraude, et redouble de hargne pour dénoncer la corruption des autres. Son énergie, déployée dans des discours de campagne de plusieurs heures, est remarquable. Et si elle ne parvient pas à la propulser au second tour, elle s’est déjà positionnée pour les élections législatives d’octobre. “Il faut qu’elle gagne”, lance une militante Oksana Konik depuis une petite tente de campagne, à la sortie d’une station de métro de Kiev. “On ne peut pas penser la politique sans elle”.

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